Le new-age américain n'a pas fini de nous émerveiller. Grâce à l'activisme des diggers du synth underground et aux fouilles entamées par Light in the Attic, Numero Group ou Finders Keepers (l'anthologie I Am The Center: Private Issue New Age Music In America 1950-1990, le Celestial Soul Portrait de Iasos, les rééditions de Suzanne Ciani), cette Terra Incognita longtemps réléguée à la Musica Non Grata par les rock critics pour cause de ringardise forcenée, de paraphilosophie douteuse et d'artworks intenables commence même à ressembler à une corne d'abondance pour les amateurs de doudous synthétiques. Ici on ne s'en plaint pas: à une ou deux exceptions près, on avale tout ce qui se réédite avec le même ébahissement et la même gourmandisque.
Le cas méconnu de Kerry Leimer nous intéresse d'autant plus que son ambient ne ressemble à aucun autre. Très influencé par les premières oeuvres ambient de Brian Eno (Discreet Music et les deux albums avec Robert Fripp), féru de métaphysique et de systèmes, ce natif de Seattle a fait sa carrière loin de la pop, des grandes villes et de l'avant-garde académique en autoproduisant tous ses disques lui-même sur son propre label Palace of Lights. Mais à part ça, il n'a rien fait comme ses cousins bouffeur de patchouli californiens. En groupe (avec l'étonnant Savant) ou en solitaire, il a sorti une quinzaine d'album en 35 ans de carrière (dont une bonne moitié avant 1983) qu'il accompagnait, à rebours de la doxa new-age, d'embryons de romans ou de listes de livres à lire plutôt que des textes sur le pouvoir magnétique des pierres ou les bienfaits de la sophro-relaxation.
Plus près de Cluster, Popol Vuh ou du minimaliste David Behrman que de Steve Roach ou des symphonies pour pierres chaudes du label Living Music, sa musique surtout sonne aux oreilles contemporaines plus douillette et domestique que planante et psychédélique. Avec le recul, elle étonne même par son humilité.
Dans les fragments de texte théorique que l'on peut déchiffrer dans la petite vidéo promo assemblée par RVNG pour annoncer la sortie en mai de A Period of Review (Original Recordings: 1975 - 1983), la première anthologie d'archives et d'inédits de l'Américain qui est le pretexte de cet article, Leimer liste les trois règles qui président à son art: ne pas trop la ramener avec sa musique, ne pas chercher à gagner de l'argent avec, et assumer son caractère personnel sans chercher la singularité à tout prix. On ne sait pas trop jusqu'à quel point cette série de sentences influence notre jugement, mais ou trouve "Gisella", le premier extrait de A Period of Review qu'il accompagne, absolument bouleversant. Rendez-vous en mai pour topper le disque en entier; à noter pour les impatients que la plupart des de albums de Leimer (dont son plus récent, co-produit par Taylor Deupree du label 12k) sont disponibles maintenant, tout de suite via Palace of Lights.
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