Il semble qu'on ait affaire ici à une vraie excavation, du genre qui lâche dans l'atmosphère des bouffées d'air qui ont l'air d'avoir sept mille ans. Cette série de plages théophanique enregistrées en 1977 n'ayant en effet jamais été éditées, même les plus fabuleux diggers d'Internet n'ont pu s'en emparer.
Figure bien sûr fondamentale de la scène de Canterbury, Mike Ratledge a accedé à la postérité pour ses paysages d'orgues vrombissants dans Soft Machine, auquel il offrit l'une de ses oeuvres les plus emblématiques ("Out-Bloody-Rageous", magma final de Third). Mais la plupart de ses activités après son départ du groupe en 1976 pendant l'enregistrement de Softs sont restées cachées au-dessous du regard de l'histoire du rock puisqu'il s'agit presque exclusivement de musiques utilitaires pour le cinéma et la publicité. Légèrement camp sur les bords, son disque solo le plus "célèbre" a ainsi été enregistré pour les catalogues d'illustration de De Wolfe (Push Button, avec Karl Jenkins, deuxième leader accidentem de Soft Machine)... Et puis sur sa fiche IMDB, on apprend que Ratledge a composé entre 1977 et 1923 trois bande-originales pour la réalisatrice féministe et théoricienne du cinéma Laura Mulvey.
Spécialisé dans l'occultisme britannique sous toutes ses formes (de la préhistoire aux explorations du futur immédiat de Iain Sinclair ou J.G. Ballard), l'excellent label londonien Mordant Music édite ces jours celle du moins obscur des trois en parallèle d'une édition DVD à l'initiative du British Film Institute. Co-réalisé par Peter Wollen, compagnon d'alors de Mulvey, Riddles of the Sphinx aborde diverses divagations post-féministes avec quelques idées superbes de mise en scène (dont le travelling circulaire) et un lyrisme visuel étonnant pour un film expérimental engagé: "La deuxième collaboration entre Mulvet er Wollen, deux figures séminales de la pensée du cinéma, Riddles of the Sphinx explore la représentation de la femme, la place de la maternité dans la société et la relation mère-fille. Composé de plusieurs sections distinctes dont la plupart sont filmées en plans séquences circulaires, le film se déroule dans plusieurs lieux domestiques et publics".
Le score prominent mais jamais envahissant de Ratdlege qui l'accompagne surtout se boit comme du petit lait. Composé avec l'assistance technique de Denys Irving de Lucifer, de synthétiseurs "ARP, Moog et VCS AKS", il nous passionne d'autant plus que la musique intégralement synthétique britannique composée hors du BBC Radiophonic Workshop et des studios de Tim Blake ou de David Vorhaus avant l'explosion de la synth pop est plutôt mal documentée dans nos contrées. Très singulière, l'approche de Ratledge du genre synthétique planant est à la croisées des chemins et des esthétiques, quelque part entre un Terry Riley sec qui privilégierait la qualité des matières à la flamboyance et les séquences tournoyantes du Tonto's Expanding Headband. Moins loufoque que les bricolages du BBC Radiophonic Workshop, moins prog que du Mike Oldfield, ce classique instantané est surtout une énième preuve que la musique synthétique de Grande-Bretagne, avec ses fantômes et ses lueurs fébriles de lampes à gaz, ne ressemble à aucune autre - ni à la française, ni à l'allemande, encore moins à l'américaine. Achat en ligne ici.
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