C'est le Père de la musique électronique japonaise qui vient de nous quitter. Ou pour le dire un peu plus précisément, le Père de la musique électronique japonaise populaire, celle qui s'est installée dans les foyers toujours plus technophiles du Japon pendant les années conquérantes du miracle économique pour ne plus jamais les quitter. A la différence des compositeurs d'avant-garde Toru Takemitsu, Toshi Ichiyanagi ou Toshiro Mayuzumi, Isao Tomita n'avait pas été initié au son électronique au studio de recherche de la NHK, cet équivalent nippon de notre Groupe de Recherches Musicales ou du WDR de Cologne. Il était un progressiste autodidacte, un féru de contrepoint et d'orchestration à l'ancienne dont les premières oeuvres furent composées pour le cinéma et la télévision - notamment pour le Roi Léo d'Osamu Tezuka, qui lui rendit la monnaie de sa pièce en dessinant les pochettes de plusieurs de ses albums dans les années 70.
C'est sous l'influence de Wendy Carlos et de son séminal Switched-On Bach de 1968 que le Tokyoïte prit l'initiative de rapatrier au Japon un Moog modulaire III en 1971 et s'enferma dans son home-studio - l'un de tout premiers du pays - pour tenter de retranscrire électroniquement l'oeuvre indomptable et lymphatique de Claude Debussy. Le résultat historique, Snowflakes are Dancing, est bien plus qu'un rossignol bien connu des diggers de brocante ou un cousin extrême-oriental de Wendy Carlos et des centaines d'avatars de musique baroque au Moog qui ont pullulé au-delà de tout bon sens dans la deuxième moitié des années 70. C'est, au même titre que l'Apocalypse des animaux de Vangelis, The Man-Machine de Kraftwerk ou Oxygène de Jean-Michel Jarre, l'un de ces disques fondamentaux qui ont converti le grand public au son électronique en enclenché la révolution pop que l'on sait.
Isao Tomita n'était pas qu'un pionnier de la musique synthétique et de la technologie, mais un véritable auteur dont les disques sans équivalents dans le paysage abondant de la fin des années 70 n'ont rien perdu de leur pertinence ni de leur étonnante élégance esthétique 40 ans après. Immense metteur en sons et créateur d'espaces sonores extraordinaires, il ne se contentait pas de réarranger les grandes oeuvres du canon post-romantique pour une génération férue de futur et de science-fiction, il en refondait les timbres et les partitions dans des space operas pour l'oreille éminemment personnels, sensibles et lumineux. A ce jour, il est sans doute le seul musicien électronique à avoir réussi à inventer un équivalent électronique crédible - et digeste - du son symphonique, à l'antithèse des kitscheries du rock progressif ou du Rondo Veneziano.
Isao Tomita"Opening Theme" (Jungle Taitei, Le Roi Léo OST, 1965)
Tomita / Debussy "Clair de Lune" (Snowflakes are Dancing, 1974)
Tomita / Debussy "Prélude à l'après-midi d'un faune" (Firebird, 1975)
Tomita / Bach "The Sea Named Solaris ("Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ" and "Three part Invention 2") (Dawn Chorus, 1984)
Isao Tomita / Hatsune Miku (Symphony Ihatov, 2012)
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