On s'est déjà épanché sur le cas de la petite pionnière Suzanne Ciani il y a quelques mois, à l'occasion de la sortie sur Finders Keepers d'une formidable (que dis-je, indispensable) anthologie de ses jingles et bruitages pour la télévision et l'entertainment de masse. La tête entre trois photos de synthés modulaires Buchla (sa stratocaster à elle), on vous re-résumait promptement ses divers faits de gloire hagiographiques du point de vue du fétichiste praticant du synth porn, occultant par là 87% de ce qui fait sa renommée et 72% de sa vraie carrière: la musique new-age, les récitals à Dubaï, les disques au piano pour faire l'amour avec des dauphins.
Car à l'origine de cette étrange branche de la musique électronique qui fait encore fureur dans les cours de yoga, il y a un tube terrible, "The Velocity of Love", au nom duquel le nombre de crimes esthétiques commis dépasse sans doute la population actuelle de Shangai. Plongeant dans l'abîme, la pauvre Ciani elle-même ne s'en est jamais vraiment remise, passant du statut de VRP officielle du synthé à la télé américaine à celui de compositrice attitrée des possesseurs de carte fidélité Nature & Découvertes. C'est vraiment balot parce qu'entre son moment pionnière et cette renaissance en poétesse en robe longue, la "Delia Derbyshire de la génération Atari" a commis ce qui est sans doute le dernier chef d'oeuvre de la musique synthétique pré-numérique.
Derrière sa pochette caran d'ache/tasse à café qui pique les yeux, Seven Waves est formidable pour deux raisons: c'est un tour de force technique qui met à l'amende jusqu'aux chefs d'oeuvres du Vangelis tardif (Antartica, Soil Festivities), et c'est simultanément une monstruosité camp et un modèle de délicatesse.
Je mets au défi n'importe quelle personne née entre 1972 et 1982 de ne pas se transformer en édredon d'émotions à l'écoute des envolées de "Sirens" ou "Crystal". Bien sûr ça n'amoindrit en rien notre amour pour les tourneries lugubres de Carpenter, Frizzi ou, je sais pas moi, la b.o. du charmant Schizoprenia de Gerald Kargl par Klaus Schulze mais Seven Waves est vraiment un truc à part. La preuve, Finders Keepers, plutôt branché saloperies giallo et rare groove malsain, le réédite en vinyle et en cd. C'est une très bonne nouvelle pour les nerds branchés synthés américains, les nostalgiques et petites filles qui aiment les dauphins.
Sinon pour ceux que ça intéresse, voilà comment on enregistrait la musique du futur en 1982:
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