Pour le flâneur aux jambes groggys, l'Internet propose aussi son lot de sérendipité. Ainsi, il est bon de se laisser aller à la dérive, trouver ce que l'on ne cherche pas. Cela réclame une santé de fer et une propension à affronter un certain lot de saloperie. Mais c'est payant. Il n'existait pas meilleur moyen de tomber sur Les Halles, dissimulé dans un recoin sombre de Bandcamp, derrière un nom plein de défi pour le SEO. Or Les Halles gagne à être connu. On le sait dès l'artwork de Forum – sa troisième cassette - d'un bleu qui n'existe que dans les bulletins météo, traversé d'une mouette, inspirant plus un après-midi passé à faire ricocher des galets dans la Manche que de pénétrer les boyaux de l'enfer parisien. Et puis on écoute, l'artwork est souvent bon conseiller. La bande avance, vos certitudes s'écroulent. Ce Forum de Les Halles raconte une Cité engloutie enchantée, Teotihuacan accessible par le RER A.
Et s'il avait raison ? Si ces yeux à lui voyaient plus que les yeux ne voient ? Toute la cassette se déroule par boucle de flûtes vulnérables, en lévitation permanente, avançant par lumières intermittentes, émoussées, s'éveillant et s'éteignant. Se dessine, plantée dans le torrent des Halles, une présence incapable de toute angoisse, regardant évoluer les êtres, hypnotisée par le flux, seul regard à percevoir toute la dimension métaphysique de l'environnement. Je faisais fausse route. Les Halles sont toujours propres à l'égarement, n'est-ce-pas ?
Contacté pour avoir le cœur net et les idées claires – et accessoirement retrouver le sommeil - Les Halles s'avère être français – c'était incertain – s'appelle Baptiste et mène le microlabel Carpi. Forum est l'illustration sonore de sa fascination pour le projet Voyages Immobiles de Stéphane Degoutin qui "propose de s’arrêter à l’endroit le plus passant, au cœur même des réseaux dans l’œil du cyclone, au point focal de la mégapole parisienne". Le Forum des Halles, évidemment. La Mystique du Grand Escalator, la Foule Compressée, le Flipper Humain, le Labyrinthe des Profondeurs … Les Halles propose sa lecture des théories de Dégoutin, jusqu'à épouser dans la forme son paradigme : "répétées à l’infini, les perceptions partielles deviennent réalité".
Ici pas de Cité enchantée ni de révélations mystiques dans le pacemaker de Paris mais une acclimatation d'un projet situationniste au cœur des Halles. Ce qui n'esquinte en rien la facture de l'objet. Forum ne falsifie pas la signature de Les Halles, on y retrouve son sound design engourdi et enroué, volontairement et joliment mauvais comme l'on s'habille mal par coquetterie. Forum est l'objet d'un néo-classiciste qui s'ignore, techniquement (couches de boucles de bande), comme dans sa recherche d'un idéal, aux racines de l'ambient. Et s'applique, à ce tohu bohu humain devenu ballet fantomatique, ce que le père Eno trouvait de plus intense dans Music For Airport: "une œuvre aussi transparente que captivante". On pourra sans mal tracer une parallèle entre les deux œuvres : l'une et l'autre s'oxygènent jusqu'à s'évanouir, soulèvent l'importance de l'écoute et de l'auditeur, ambitionnent de donner de l'absence à une présence. Voilà ce que l'on trouve en se perdant sur Internet.
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