Boogie de France, disco de la Rigueur, bruit de fond des radios libre ou funk Minitel : il y a des dizaines de manière de présenter la musique fantasque et fantastique qu'on peut entendre sur Disco Sympathie, la passionnante compilation que Vidal Benjamin sort cette semaine sur Versatile, et au moins autant de raisons différentes de s'y intéresser.
Aucune pourtant ne fait vraiment honneur au mille et un bonheurs que les 12 trésors oubliés qui s'y cachent procurent à l'auditeur, qu'il soit né en 1963, 1979 ou 1999. Frisson, spasmes, vertige, euphorie, déprime, hilarité, nostalgie, bonheurs simples ou très compliqués, il y a tant à éprouver et partager en écoutant "Club Privé" de Club Privé ou "Frivole de nuit" de Laurie Destal qu'on est presque surpris que les acteurs de l'underground house de France, pourtant échaudés par des années d'engouement pour le cosmic disco japonais ou le disco de Rimini, aient attendu si longtemps pour s'y atteler.
Débarquant au milieu d'un mini raz-de-marée de sorties affiliées (hier Le Fric et le Sex d'Arthur King, aujourd'hui une deuxième mixtape de Zaltan sur les Editions Gravats de Low Jack - on en reparle très bientôt-, demain une compil thématique sur Born Bad), Disco Sympathie a de sévères atouts à faire valoir en plus de son titre, dont une nette orientation disco et cocotiers et un tracklisting aux petits oignons préparé avec coeur et nostalgie par un mec qui s'y connaît, Vidal Benjamin. On lui a posé quelques questions pour en apprendre un peu plus ses raisons et ses secrets pour avoir ourdi un si curieux et si formidable objet.
Cette idée m'a été soufflée par Gilbert, le boss de Versatile. C'est lui qui, en m'écoutant passer ce genre de morceaux, a eu la vision de quelque chose d'abouti sur la question. À l'origine je passais ces morceaux parce qu'ils me replongeaient dans une époque que j'ai bien connue, dans sa fraîcheur surtout. Quant aux disques de la compilation, ce n'est pas leur rareté qui m'a conduit à les compiler, mais uniquement le plaisir qu'ils pouvaient procurer à leurs auditeurs.
Pourquoi ce titre, "Disco Sympathie"?
Merci Gilbert, ici aussi. La sympathie est un mot que j'emploie depuis les années 80. Mon père parle souvent des gens qui se croient sympathiques. Moi c'est une vraie vision du monde que j'ai développé dans son sillage. Il y a les sympathiques et les autres.
Peux-tu présenter les producteurs "de l'ombre" les plus notables qui ont produit et composé les morceaux de la compilation? Notamment Micky Milan?
Micky Milan n'a pas de morceau de ma compilation, mais c'est un personnage central de cette époque. Il était DJ résident à l'Échappatoire de Clichy sous Bois ("l'Echapp") et a produit quelque perles de boogie français qui incarnent bien ce que j'entends par "sympathie". Sinon, dans la compilation on retrouve un morceau produit par Don Ray, qui a produit certains des plus grands succès de Cerrone, ainsi qu'un autre de Nicolas Skorsky qui était le producteur de Santa Esmeralda (RIP). Sinon, on a aussi Leo Carrier et Gilbert di Nino, producteurs de New Paradise, de la BO des Branchés de Saint Tropez de Max Pécas ou de "Vacances j'oublie tout" d'Élégance. De même Marc Chantereau s'est illustré dans le groupe disco Voyage et dans l'illustration sonore. À côté de ces requins de studio, on a effectivement aussi des morceaux réalisés par des producteurs plus discrets qui cherchaient alors à taper à la porte des jeunes radios libres pour leur fournir du contenu. On le voit donc, la compilation est très disco, mais cette disco qui suit sa mue doucement pour devenir boogie au début des eighties.
Est-ce que selon toi, il y avait un vide historiographique à combler après les diverses réhabilitations du disco français de ces dernières années? Est-ce qu'il y a une volonté "historique" tout court à faire connaître ces musiques qui constituaient le bruit de fond de la France, en gros, d'avant la première cohabitation?
Je ne suis pas certain que ce soit faire honneur à ce type de musique que de chercher à en intellectualiser le contenu. Ces disques je les ai dénichés pendant que je préparais mon doctorat de droit et ils ont été justement une source d'apaisement durant ce long parcours initiatique. Et je pense qu'il faut les prendre pour ce qu'ils sont : une injection de légèreté dans un quotidien qui, déjà, se heurtait à la crise, au terrorisme et à l'individualisme forcené.
Dans les meilleurs morceaux de la compilation (surtout le Laurie Destal), il y a, je trouve, un effet Madeleine très puissant qui est autant dû à la production musicale elle-même qu'à la diction des chanteurs et des chanteuses, du vocabulaire qu'ils utilisent et des discours qu'on déchiffre en négatif ("la crise" pendant la rigueur, l'insouciance, le fric...)... Oserai-je te demander si tu as grandi à l'époque où ces morceaux ont émergé?
Oui, c'est vrai. Je me souviens à l'époque que j'écoutais Christophe Laurent dans l'émission de Marc Scalia sur NRJ. J'étais alors alité à la suite d'un accident de la circulation. Et je me disais, "Un jour, quand tu iras mieux, tu feras la fête comme ces types qui mettent des borsalinos bleutés et finiront par manger des glaces à Rio".
Est-ce que la nostalgie a joué un rôle dans ton propre attrait, voire ta tendresse pour ces morceaux?
À n'en pas douter.
Plus "techniquement", comment présenterais-tu l'intérêt de ces morceaux à un DJ non-francophone et totalement ignorant du contexte de la France de la première moitié des années 80? En terme de pure qualité de production et d'arrangement? Qu'ont apporté selon toi les producteurs français en terme de savoir faire et d'inventions?
La reconnaissance que j'ai pu obtenir en tant que DJ m'est d'abord venue de l'étranger. Cela a commencé par l'Angleterre, puis les États-Unis, l'Allemagne, la Hollande, la Suède, la Serbie et j'en passe. Autant dire que ces morceaux ont spontanément trouvé leur chemin dans ces contrées. Tout simplement parce que, dans ces pays d'ouverture à la musique, ces morceaux ont quelque chose d'exotique et que la production derrière tient parfaitement la route sur la piste de danse. Mais si la compilation est un succès, ce que j'espère, je m'engage solennellement à faire une conférence à la Red Bull Music Academy sur la marque des synthés ou le nombre de pistes de la console du Studio de la Grande Armée.
Est-ce que tu as eu un contact "direct" avec certains des morceaux (ou disons le genre de musique) compilé sur Disco Sympathie à l'époque de leur sortie?
Voir plus haut ("Nuits Brésiliennes")...
Que penses-tu des deux mixtapes "funk français" et boogie de banlieue que Zaltan a réalisé récemment en fouillant vraisemblablement les mêmes bacs que toi? On sent une nette différence dans les morceaux que vous avez sélectionnés même s'il est difficile d'expliquer où elle se situe…
Zaltan est un vieux pote. Je l'ai connu à ses débuts, il s'amusait alors pas mal de mes petites trouvailles françaises et, à son tour, m'a fait découvrir quelques superbes morceaux. Je possède une partie substantielle des disques que l'on retrouve dans ses deux formidables mixtapes, mais ce que j'ai eu envie de restituer, dans Disco Sympathie, est un feeling de nostalgie joyeuse d'une époque que j'ai vécue. Une saudade fluo et acidulée en somme.
Selon toi, à part la notoriété, qu'est-ce qui différencie les morceaux qu'on trouve sur la compilation (comme "Y'en a marre" ou "Amnésie") des tubes de variété plus ou moins embarrassants qui composaient le Top 50 de l'époque?
En vérité, la plupart de ces morceaux sont sortis avant même que n'existe le Top 50. Les producteurs de l'époque n'avaient pas encore cette obsession du marketing que les cohortes d'HEC importeront quelques années plus tard dans les maisons de disques. C'est donc l'empirisme de la démarche de base qui a permis à ces morceaux de voir le jour.
Question subsidiaire: le temps qui passe rend-il tout réécoutable et digne d'être réhabilité?
Le disco et le boogie français m'ont toujours amusé. Je me souvient du bonheur ressenti le jour où, aux puces de Vanves, mon ami Charles Hagelsteen, co-fondateur de Tigersushi, m'a offert le maxi de "Playboy en détresse" de Style en me disant que c'était un truc pour moi, qui n'avait en vérité jamais décroché des eighties. Après, un DJ se doit de tenter des choses, quitte parfois à se planter. Mais à Paris, il n'y a plus beaucoup d'excentricité et d'underground, c'est devenu plus formaté, ce qui rend l'exercice encore plus compliqué. Toutefois, le combat continue, et Disco Sympathie est ma contribution à l'effort de guerre.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.