Regardez bien la photo ci-dessus: est-ce qu'on peut parler de ce qu'il s'y passe capillairement parlant? Est-ce qu'on peut dire que c'est audacieux? Est-ce qu'il était écrit quelque part dans un livre au Ciel que la réunion de Savages et de Bo Ningen aurait un jour lieu pour que nous en soyions tous témoins? Est-ce que les cheveux des membres de Bo Ningen vont s'arrêter de pousser? Est-ce que ces huit musiciens entretiennent de si majestueuses chevelures dans le seul but de les agiter quand ils jouent de la musique ensemble? Est-ce qu'on peut pour autant parler de "musique de chevelus" pour désigner la musique qu'on entend sur Words to the Blind, leur premier LP commun?

Pas tout à fait, en fait. "Words To The Blinds", qu'on streame aujourd'hui en avant-première, est en effet à la fois exactement ce que l'on pouvait attendre d'une collab' entre Savages et Bo Ningen (= du rock psyché et étiré dans le temps mais tendu comme un arc post-punk) mais surtout bien plus que ça. Extrapolation d'une performance présentée à la Red Gallery à Londres il y a un peu plus d'un an, le long morceau qui compose l'album s'inspire de quelques principes imposés empruntés par les curators de la galerie au Dadaïsme, dont celui du "poème simultané, forme bien connue des aficionados de cet hybride méconnu des avant-gardes du 20ème siècle qu'est la poésie sonore.

Pourtant, ce qu'on entend tout au long de ses 37 minutes  est tout sauf de la poésie sonore dans l'acception classique du terme. Pour reprendre les mots de la Red Gallery, "les voix et les sons deviennent indissociables et se battent pour se faire entendre et trouver leur chemin. Le rythme inéluctable et le bruit (du morceau) menacent de détruire l'individu qui résiste". Plus proche donc des hybrides rock psychédélique/paroles déclamées des années 70 (par exemple "Le Voyageur" d' Heldon et Gilles Deleuze), "Words To The Blind" est une grosse demi-heure rock monotonal chanté de concert par Savages et Bo Ningen en français, en anglais et en japonais et martelé sur une armada de guitares, dont une accrochée au plafond comme une piñata.

Malgré tout ça, Words to the Blind est excellent. A son écoute (forcément) prolongée, on n'est pas loin de se dire qu'on est tombé sur le meilleur morceau de rock improvisé du mois de novembre. Et on n'est pas non plus à l'abri de tous se laisser pousser les cheveux très longs uniquement pour pouvoir secouer notre majestueuse chevelure en rythme et enfin constater si oui ou non, ça a un rapport avec nos capacités à faire de l'esprit en déclamant des paroles dans une langue qui n'est pas la nôtre et jouer parfaitement de la guitare.