1972 marque l’année de la commercialisation de la platine vinyle Technics SL-1200. Ce modèle, révolutionnaire, est le premier d’une série qui reste à ce jour la référence pour les DJs. Pour jouer un disque, différentes options de vitesse sont disponibles : des boutons permettent de choisir entre 33 et 45 tours par minute, afin de correspondre aux différents formats de pressage des disques, qu’il fassent 12 ou 7 pouces. On trouve également une réglette pour moduler de manière plus précise la vitesse, avec une marge de manœuvre de + et de - 8% pour accélérer ou ralentir son disque afin de pouvoir le mixer.
La vitesse à laquelle le diamant de la platine est entrainé dans les sillons du disque a une incidence directe sur la tonalité du son reproduit. Un disque pressé en 33 tours joué à une vitesse de 45 tours semblera donc plus rapide mais aussi plus aigu, et ce de plusieurs octaves, comme quand votre collègue un peu lourd s’amuse avec des ballons d’hélium pendant le repas hebdomadaire et inesquivable de votre boîte à l’Hippopotamus.
C’est exactement l’inverse lorsqu’un 45 tours est joué à 33 tours : ralenti, sa tonalité est plus basse (le terme franglais de rigueur c’est « sous-pitché ») et votre collègue n’a plus une voix de chipmunk mais plutôt celle d’un robot à l’élocution lente et à la voix très grave, chaque élément se distingue davantage, et le tout en devient plus imposant et plus hypnotique.
Le documentaire The Sound of Belgium nous apprend que la pratique du 33RPM +8% (33 +8 pour faire plus simple), rendue populaire par les DJs d’Outre-Quiévrain remonte aux années 70, lorsque des 45 tours de soul étaient joués en 33 tours, avec la réglette du pitch à +8%. Et c’est en appliquant la même technique à des disques de coldwave et d’Electronic Body Music (EBM, pas EDM) lors de la seconde moitié des années 80 qu’est née la New Beat, cette musique à danser lente et débauchée, cousine européenne de l’acid house américaine.
Le concept du 33RPM +8% n’a pas disparu avec la New Beat. Des amateurs de la pratiquent officient encore. Pour tout vous dire, j’en fais moi même partie (même si je ne joue pas exclusivement de la sorte) mais en tout cas, cette pratique et ses enjeux ont inspiré le nom de 33RPM +8%, webzine et soirées dont je suis le tenancier.
Et donc, quel plaisir de tomber il y a un an et demi sur Front de Cadeaux (F2C pour les intimes). Déjà pour le nom, hommage facétieux à la manière italienne de prononcer le nom du groupe Front 242 (les vrais disent deux quatre deux et pas deux cent quarante-deux) pionnier de l’EBM qui est depuis mon adolescence une de mes principales sources d’inspiration. Mais ce qui nous ravit dans l’activité de F2C, c’est aussi et surtout leur dévouement total à la cause du 33RPM +8% à travers sets et productions aussi lents que sensuels et jamais dénués d’humour avec des titres comme "Le PédéBPM", "Infodrogue"ou encore leur prochaine sortie, "Ouvre ta bouche".
A l’occasion de leur venue à Paris le jeudi 17 mars pour La Halfa d’Acid Arab qui proposera au public du Gibus une soirée marquée par la lenteur extrême de F2C mais aussi par les rythmes effrénés de DJ Nigga Fox, j’ai un peu discuté avec Maurizio et Ugo de Front de Cadeaux afin de mieux comprendre l’énergie qui les anime.
Qui êtes vous ?
Maurizio (DJ Athome) est italien et vit à Bruxelles, il a 45 ans. En 1996 il lance une émission sur Radio Panik qui fête ses 20 ans cette année. Elle s'appelle Brussels Alternative Show et les influences sont vastes: musique expérimentale, techno, acid, house, krautrock, dub, italo, disco .. Et beaucoup de new wave et de post punk. Maurizio est également membre de Pneu Records / Lexidisc qui organisent des soirées à Bruxelles appelées Palais Chalet.
Ugo (Hugosan) est italien et vit à Rome. Âgé de 40 ans, il est DJ depuis 1992 et il est à l'origine d'une série de soirées trop longue à énumérer. Avec Rodion ils ont un label qui s'appelle Roccodisco. Ensemble ils ont formé Alien Alien, remarqué dès leur premier tube "Sambaca”. Les influences de Ugo sont identiques mais plus chaudes : tropicalia, hip hop, house, disco .. Ugo organise actuellement une soirée bi-hebdomadaire a Rome qui s'appelle Tropicantesimo et ce depuis 3 ans.
Comment s’est faite votre rencontre et la genèse de F2C ?
On se connait depuis plus de 10 ans mais F2C est récent. Le projet est né après de longues nuits passées à écouter des maxis 45 tours joués à la mauvaise vitesse. Et on s'est dits qu'on allait pousser le concept jusqu'au bout tant dans la production que dans nos DJ sets.
D’où vient votre engouement pour le 33 +8 et les BPM lents ?
On pourrait en dire vraiment beaucoup à ce sujet. Pour nous c'est une façon d'obtenir une musique sensuelle et ronde, surtout dans les basses. Il y a quelque chose de sexy dans les tracks qu'on sélectionne pour les jouer en 33 tours. Ce qui donne une directions à nos sets, ce sont leurs couleurs et rythmes plutôt dub et cosmiques.
Est-ce qu’il y a des genres musicaux qui se prêtent particulièrement à être joués au ralenti? Lesquels sont vos préférés ?
Oui en effet, certains se prêtent mieux à l'exercice mais on a un parti pris pour la trance genre Harthouse ou Bonzai. Le résultat balearic est immediat. Le breakbeat (même le plus mauvais) fait partie de nos secret weapons. On ralentit tout ce qui est ralentissable et surtout ce qui ne l'a pas encore été.
Quelle est la différence entre mixer à la vitesse plus habituelle de 127 BPM et 96 BPM, par exemple ? C'est plus simple, plus compliqué ?
La différence est énorme et je dirai que mixer du 127 BPM est bien entendu plus simple. Quand on mixe du 96 BPM (l'original est alors au alentours de 122bpm), le morceau se rallonge, les arrangements sont eux aussi ralentis ce qui nous laisse ensuite beaucoup d'espace pour mixer un autre morceau ralenti qui va lui donner du groove et de la dynamique. Le 33rpm te donne tout l'espace nécessaire pour mixer 2 tracks pendant plusieurs minutes et l'effet créatif est excitant.
Et donc, qu’est-ce qui distingue votre interprétation de la sensualité de celles d’autres DJs et producteurs ?
La différence réside vraiment dans la lenteur car on ne va jamais au delà de 105 BPM. Et tout ça doit avoir un effet sur le rythme cardiaque et les tensions musculaires. Tout se passe dans le cerveau car cette musique est non seulement sensuelle mais également hypnotique. Les gens réagissent assez bien mais sans doute car on se produit dans des endroits plutôt underground.
Pour vous quel est le BPM parfait ?
Entre 96 et 100.
Qu’est-ce que c’est que le Pédé BPM?
C'est une blague au départ ! On a fait ce morceau en référence aux soirées du circuit mainstream homo où la musique est toujours mauvaise et souvent au BPM beaucoup trop élevé. Une fois le morceau terminé avec Rodion, Fabrizio Mammarella l'a entendu et nous a pondu quelques jours après ce redoutable remix que tout le monde à joué, d’Ivan Smagghe à Erol Alkan. Le PédéBPM dénonce cette culture gay qui a perdu le sens de ses origines. La scène gay actuelle a heureusement des "anti circuits" (lire l’article récent de RA à ce propos, ndr) et on est là dedans notamment avec nos potes de San Francisco (Honey Soundsystem) qui ont publie notre premier DJ set joué en 33RPM.
Vous cherchez exclusivement des disques en 45 tours quand vous préparez un set ?
Oui, exact. On a accès à une grosse collection de disques et en fait on pourrait même arrêter d’en acheter car on puise dans le passé principalement.
Parlons de cette notion, assez normative au final, de "bonne" ou "mauvaise" vitesse. Pour moi, dès que la technologie existe pour agir sur la vitesse à laquelle sera reproduite un enregistrement, l’existence même de cette possibilité est une raison suffisante pour en faire l’expérience, car les résultats peuvent souvent être intéressants. C'est une idée que vous partagez ou vous avez un autre rapport à la question ?
Pour nous c'est pas une question de bonne ou mauvaise vitesse, c'est juste le résultat qui compte. Reproduire le ralentissement dans les productions est également intéressant.
Dénoncer avec humour l’uniformisation du circuit gay et sa musique édulcorée, aller à contre courant des normes sur la bonne ou la mauvaise vitesse et montrer qu'en déviant d'une soit disant normalité, les résultats sont en fait plus jouissifs et intéressants, j'ai l'impression que F2C est assez militant voir politique quelque part. C’est bien le cas ?
Oui on est des "militants" sans aucun doute. Après le "PédéBPM", on a sorti "Infodrogue" avec un remix de JD Twitch et si tu lis notre texte sur Soundcloud tu comprendras que là aussi, il y a une référence à John C Lilly (neuropsychologue et membre éminent de la contre-culture psychédélique américaine, ndr) qui est notre référence absolue. Notre prochain 45 tours est également un hommage à lui.
Est-ce que le dancefloor peut et doit être une arène pour mettre au défi certaines idées reçues ou au contraire, est-ce que c'est un cadre où il faut laisser au vestiaire ses opinions pour mieux fédérer ?
Le dancefloor est un laboratoire expérimental et nous adorons les expériences ! C'est l'unique moyen pour nous de rester authentiques et cohérents. Tout nos sets live ont été assez "différents" car il est bien plus amusant de surprendre le public encore davantage.
Après Paris et la sortie d’Ouvre Ta Bouche, what’s next pour F2C?
Le 6 mai sort notre EP "The Gift" sur Subfield K7! On a un 45 tour qui va sortir sur Lexidisc probablement en mai également .. Avec une super belle pochette …Surprise!
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