Minimum Syndicat est à la fois un label et un duo formé en 2008, en plein creux de la vague minimale. C'est le fruit de la rencontre entre Jmi et David, deux amoureux de la musique de rave et de la techno maximale, celle où les kicks massifs semblent étudiés pour causer le plus de dégâts dans des hangars moites, où les lignes acidulées et nappes stupéfiantes sont sublimées par les lasers, où les samples de breakbeat semblent être taillés pour mettre les corps en mouvement. Evoluant longtemps dans le réseau parallèle d’un underground loin des sentiers battus, tissant des liens entre activistes au quatre coin de l’Europe, le duo connait enfin depuis quelques années le succès qu’il mérite.
Sans doute l’effet combiné de l’activité de leur label qui mise sur la qualité plutôt que la quantité, la puissance de leur live de 90 minutes et une certaine ouverture d’esprit par rapport au son festif mais sombre, élégant mais tapageur, conscient de son héritage mais refusant de s’embourber dans le passé. A l’occasion de leur set à la soirée Voodoo Rave au Batofar le 27 février 2016, ils ont répondu à nos questions.
Qu’est-ce que Minimum Syndicat ?
Jmi : On est un label et un duo qui fait des live acts rave. On joue une musique énergique, qui parle aux pieds mais aussi à la tête, pour retrouver cette « euphorie triste », ce sentiment d’abandon et de catharsis.
David : Oui c’est ça, le truc « uplifting » mais pas niaisement joyeux ou clinquant. C’est de la musique de party, j’ai aucun problème avec ça et pas d’autres prétentions.
Vous évoluez dans un territoire particulier, à la croisée de chemins entre techno et rave. Quels sont les éléments clé du son Minimum Syndicat ?
David : En tant qu’auditeur je trouve qu’une partie des choses les plus intéressantes se trouve dans les interstices entre les genres monolithiques qui ont commencé à segmenter la house et la techno à partir de 1993/1994. On essaie de retrouver l’esprit de l’époque où des sonorités acid, detroit, breakbeat, trancey, ebm, hardcore, cohabitaient dans les mêmes soirées, voire le même set, voire le même track.
Comment vous êtes vous rencontrés ?
Jmi : Je faisais un set à Pigalle dans un club « libertin » détourné pour l’occasion (dédicace au Defcore crew). En pleine période minimale, rencontrer un alter ego musical n’était pas si courant et la connexion s’est faite direct. Ca a commencé comme un majeur tendu envers cette techno balle de ping pong des années 2000. Une espèce de réaction épidermique. Il n’y avait pas vraiment de plan si ce n’est faire la musique qu’on aurait aimé entendre, ne serait-ce que de temps en temps, dans les clubs.
Crédit photo : Newtrack-©Yann K
Et du côté des influences ?
Jmi : Je viens des musiques punk ou wave avec tous les préfixes qu’on peut leur associer. Mes fondations pré-électronique, c’est The Cure et sa sainte trilogie, Joy Division, Tuxedomoon, tout le courant indé de cette époque (Sonic Youth, Steve Albini), mais aussi avant ça le punk/garage avec The Cramps, les premiers Bérus etc. Coté électronique, le spectre est assez large, je pourrais te citer, « lifeform » de The Future Sound of London, la techno pure de Jeff Mills, le total abus de PCP, Plastikman/F.U.S.E quand c’était génial, Aphex Twin parce qu’il a tout fait, le génie de ces dernières années qu’est Ancient Methods, la puissance de feu de Robert Armani, le label Djax Up, le hardcore industriel de Laurent Hô, la lysergie d’Unit Moebius, il y a trop de chose que je vais regretter d’avoir oublié…
David : Je viens de la techno, mes premiers vrais flashes musicaux étaient techno ou « proto-techno » (new beat, hip house, KLF, le label R&S…), mes premières K7 dans ma chambre étaient techno, bien avant que j’ai l’âge de mettre un pied en soirée.
Vous mentionnez Planet Core Productions, l'un des nombreux alias de Marc Acardipane, l'un des pères fondateurs de la techno hardcore. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre intérêt pour ce producteur ?
Jmi : Enorme dossier effectivement, il fait parti d’un cercle très fermé : ceux qui ont établi un nouveau paradigme. Il y a pleins d’artistes géniaux, mais ceux qui créent un genre se comptent sur les doigts de la main. Selon sa propre définition : « music for huge space arena ». Une vision ultra-futuriste, des productions d’un autre monde, un don pour les anthems, sous ses divers pseudos des 90’s, ça donne une discographie relativement intouchable même 20 ans après.
David : Le gars a produit des centaines de tracks sous une soixantaine de pseudos différents (dont les plus connus doivent etre The Mover et Mescalinum United). Il y a boire et à manger mais les meilleurs trucs sont immortels. Il a posé un certain nombre de bases de la techno dure et dark européenne qui s’entendent encore aujourd’hui, tout ça à une époque où la feuille était à peu près blanche.
En m’intéressant au label, j’ai découvert toute une scène un peu à l’écart du circuit clubs et médias habituel. Sunil Sharpe en Irlande, Hellfire et Fifth Era au Royaume-Uni, Polybius en Espagne, Umwelt à Lyon, par exemple. Le point commun entre vous, une aisance sans doute conférée par un certain statut de vétéran de l’underground, on sent que n’avez rien à prouver. Est-ce qu’on peut effectivement parler d’un réseau parallèle ?
Jmi : Oui complétement, et c’est le propre des artistes qui tracent leur route au-delà des modes du moment. Il y a des périodes fastes et des traversées du désert. C’est peut être ça être underground, juste faire son truc coute que coute. Mais tout cela est très relatif, il existe des scènes qui ont peu de résonnance médiatique, mais qui drainent un vrai public depuis des années, parfois même autant ou plus que les grands noms Resident Advisor, qui est juste la partie émergée de l’iceberg.
David : Juste un truc à cadrer au sujet de « vétérans underground ». On a cette image de old timers de la rave parce qu’on a beaucoup revendiqué cet héritage à une période où c’était un peu mis sous le tapis, limite honteux. Mais si on a une légitimité là-dessus, c’est en tant que passionnés et membres du « public techno » depuis bien longtemps, voire un peu orga pour Jmi et journaliste spécialisé pour moi. En tant que producteurs/performers on est pas des noobs mais presque ! Manu le Malin, Speedy J, Umwelt et des dizaines d’autres encore bien actifs, eux, ce sont des « vétérans underground »…
La couverture d’un magazine spécialisé (Trax pour ne pas le citer- s’est récemment interrogée sur le retour de la rave. Des promoteurs qui avaient 4 ans en 91 vous programment dans des soirées avec le mot rave dedans (moi). Est-ce que la rave fait vraiment un retour ? Peut-on véritablement s’en revendiquer en 2016 ?
David : Le terme "rave" en 2016 peut en agacer certains parce que ça leur semble s’accrocher à un pseudo âge d'or qui ne correspond plus à la réalité actuelle. Mais pour nous c’est surtout une manière de désigner un certain type d’atmosphère. C'est une ligne directrice, un esprit. Je veux bien entendre que la rave est un truc du passé, mais quand je vois 3000 kids qui se lâchent sur "Energy Flash" de Beltram ou Alien Rain dans un hangar de banlieue à 4h du mat', pour moi je suis en rave. Je ne vois pas de différence fondamentale avec ce que j'ai pu aimer dans les 90's, si ce n'est le choc de la nouveauté et le côté plus souterrain que ça avait à l'époque, et encore. Et puis "rave" couvre des réalités différentes selon les vécus et les zones géographiques. Pour certains c'est une free party dans la foret, pour d'autres c'est une grand-messe sous les lasers, dans l'imaginaire collectif c'est ce truc anglais ecsta-smileys des années Thatcher… Ca peut renvoyer à des images naives et utopiques comme à des choses plus dark. C'est juste une façon de dire qu'un rassemblement techno n'est pas et ne doit pas être simplement "un concert de musique électronique" ou une boite de nuit géante.
Credit photo: Retro Acid-©Dlux
Dans le texte promotionnel d’une sortie du label l’année dernière, vous vous présentiez à contre-courant de la « techno de hipster barbu ». Qu’est-ce qui vous dérange ou en quoi vous ne vous reconnaissez pas dans l’esthétique actuelle qu’on associe au mot techno (barbes, modulaires, Berghain, sets autoroutiers, etc).
David : On a fait un peu de provoc’ là-dessus mais c’était de bonne guerre. Certains avaient plus de préjugés sur nous qu’on en avait sur eux. A un moment, tout ce qui cognait un peu ou ne prenait pas des poses arty, très sérieuses, cérébrales, était assimilé à de la « hardtek de teuffeurs », ce qui 1) n’est pas forcement toujours péjoratif, 2) dénote une bien piètre connaissance de cette musique… En vrai, il me semble que la scène est déjà passée au-dessus de tout ça et on a rien contre les barbus et les modulaires. Il y a des choses plus graves à l’heure actuelle que les guéguerres de clocher technoïdes.
Votre son est marqué au fer blanc par l’héritage du début des années 90. Pourtant, vous affichez clairement la volonté de ne pas vous embourber dans le passé. Comment articulez vous votre goût pour l’old school et une approche plus tournée vers l’avenir ?
David : On assume à 100% les influences rave 90 parce que c'est un son auquel on est viscéralement attachés et qui reste prenant. Après, on apprécie beaucoup de productions qui sortent aujourd'hui. Du coup, je pense que tout ça se télescope dans notre tête et donne un truc un peu mutant, tout comme notre set up qui mélange vintage et nouveaux outils. Le but n'a jamais été de recréer fidèlement le passé mais d’en donner notre interprétation, forcement subjective, à prendre ou à laisser.
Quelles sont les réactions quand vous jouez pour un public qui ne partage pas forcement vos références ?
Jmi : Avec Internet, la nouvelle génération a une culture hallucinante, et on n’a jamais eu un public aussi connaisseur. Comme il a tout absorbé en même temps, des distinctions qui peuvent paraitre évidentes pour l’ancienne génération disparaissent dans un « grand tout ». Donc ça se passe très bien, et j’apprécie énormément de naviguer entre tous ces univers. C’est la beauté de la période actuelle, les gens ont faim, il y a une vraie envie de faire la fête et de s’amuser sans trop de calculs ou de pose, et ça c’est quand même bien techno comme idée, non ?
1991 c’était il y a 25 ans, pourtant les disques sortis à cette époque auxquels nous revenons sans cesse n’ont pas vraiment perdu de leur connotation futuriste. C’est un des paradoxes de la techno (au sens large), genre né il y a trente ans et donc d’un âge relativement mûr mais qui ne semble pas avoir abandonné cette volonté d’être la bande son d’un certain futur. Comment s’articule cette notion dans votre travail ?
David : Paradoxalement, cette idée de la techno se devant d'etre à tout prix la musique du futur est assez "old school" pour moi. Ca correspondait à une époque où le simple fait de n’utiliser que des machines, non par facilité mais par choix, était déjà un trip futuriste en soi. Aujourd’hui tous les styles, y compris, et peut-être surtout la pop la plus grand public, sont gavés d’électro. Donc ce n’est plus cet aspect qui est le plus radical en 2016. Par contre le coté hypnotique, psychédélique, tribal est encore bien là. La techno, l’acid peuvent toujours procurer des sensations que tu ne retrouveras pas ailleurs. Ce sont finalement des choses assez primitives : la « transe », le plaisir de se réunir pour danser sur des boucles répétitives qui opèrent au-delà du langage et de la mélodie… On réalise que c’est quelque chose d‘intemporel plus que futuriste, que la techno a juste réactivé dans nos cultures.
Votre live dure 90 minutes, pour l’avoir vu plusieurs fois il n’est jamais identique. Photonz que j’ai emmené vous voir cet été trouvait que ce qui distingue vos sets, c’est une approche empirique. Est-ce que cette analyse vous parle ?
Jmi : Le live évolue perpétuellement en effet. On essaye de raconter une histoire, on peut dire empirique dans le sens de créer des progressions, des tensions, des relâchements, ce qui est plus envisageable sur un format plus long à la manière d’un dj set.
David : On veut avoir la même intensité et flexibilité qu'un dj set. Donc pas de pauses entre les morceaux, on se garde la possibilité d’improviser sur un passage ou au contraire de vite partir sur autre chose, tout en gardant le coté « modulations en temps réel » d'un live. Ca doit être narratif, avec des moments de libération des énergies et d’autres plus introspectifs. Du coup on essaie tout le temps de nouvelles façons de faire, en gardant la main sur le plus de choses possibles. On a des "phases" fétiches, comme un dj a des enchainements fétiches, mais l'idée est de renouveler les choses autant que possible.
Vous avez toujours été appréciés de l’underground, mais depuis un an ou deux, vous percez dans la partie un peu plus émergée de l’iceberg, votre carrière progresse et que vous rencontrez un certain succès, comme certains de vos pairs (Umwelt notamment). Comment expliquez-vous cela ?
Jmi : Il y a plusieurs facteurs je pense. Mais le principal c’est que cette techno un peu plus dure et décomplexée était sortie du paysage et n’avait pas vraiment droit de cité. La tendance s’inverse et ce son devient moins marginal voire même un des courants dominants. Le nombre d’orgas et la scène en France a explosé, le public répondant présent il est logique de voir les horizons s’ouvrir aussi. Je pense que le label arrive aussi à maturité et c’est surement le résultat d’un long travail dans l’ombre.
David : J’aime pas trop le mot carrière. On n’a pas d'objectifs de carrière si ce n'est de pouvoir dire qu'on aura été fidèles à notre vision jusqu'au bout quand il sera temps de passer à autre chose. J'aime cette musique depuis que j'ai 11-12 ans, j'y aurai apporté ma petite contribution et fait de belles rencontres au passage, je serai heureux avec ça. En ce moment un public plus large qu'avant se retrouve dans l'acid, la techno d’inspiration rave, tant mieux… mais ça passera et il restera les vrais militants du genre… on connait l’histoire !
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