A chaque fois qu’on parle de musique électronique dans un contexte francophone, une précision s’impose : à la définition large du terme qui englobe tout un tas de styles musicaux pas forcément les plus qualitatifs s’oppose le sens plus orthodoxe du mot : de la musique électronique syncopée, conçue initialement pour faire du breakdance, notamment mais pas exclusivement le fruit de croisements entre les disques chaloupés de Miami Bass et du spleen robotique de Détroit. Historiquement éminemment américain, le genre a connu de nombreuses évolutions en plus de 30 ans d’existence et il est aussi dignement représenté par une poignée d’Européens. Si les Britanniques peuvent se vanter d’avoir une scène électronique dont Dave Clarke serait la figure de proue, alors on peut de notre côté de la Manche se targuer d’avoir Umwelt, ce producteur talentueux et DJ émérite qui distille en activiste depuis la fin des années 80 sa vision particulière du dancefloor.
Il le fait à travers son label New Flesh, truffé d’excellentes références dark electro et sa structure plus récente Rave or Die dont les maxis en format 10’ avec un morceau-boucherie par un artiste différent par face connaissent un franc succès. Bien connu de l’underground depuis les années 90, sa visibilité en France et à l’international ne cesse de croître depuis plusieurs années, portée par ses productions redoutables et la qualité de ses sets. Je l’ai entendu jouer dans des cadres divers et variés sur les deux ou trois dernières années et chacune de ses performances était une claque en bonne et due forme.
C’est justement à l’occasion de la sortie d’un nouvel album sur Boidae, un label plus ou moins créé pour l’occasion par les Berlinois de KilleKille que je suis allé poser quelques questions à Umwelt.
Umwelt - Company Of Lies [BOIDAE001]
05:25
Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours en tant qu'artiste ? Quel a été le déclic pour toi ? Umwelt : C’est vers l’âge de 15 ans que j’ai commencé à mixer sérieusement, grâce a un ami plus âgé qui m’a fait découvrir ça. C’était en 88, au début de la new beat. L’été, je faisais des petits boulots saisonniers qui m’ont permis d’acheter des platines et mes premier disques. Le tout premier vinyle que j'ai acheté a été celui de The Maxx avec le titre "Cocaïne" acheté chez Number One Dj, le disquaire "import" de l’époque à Lyon. Ils avaient pas mal de dance music et de la bonne newbeat belge. C'est à partir de ce moment là que je me suis mis à acheter beaucoup de disques et que je me suis initié au mix. Un peu plus tard, il y a eu l'arrivée sur les ondes de la radio Maximum et des raves en France ; là, tout s'est enchaîné très vite. Je me suis retrouvé à la tête d’une émission de radio grâce à un pote de lycée, et résident à l’Hypnotic, le premier squat rave à Lyon fondé par Dj Nessie et le crew de l'émission de radio Techline.
The Maxx - Cocaine [1990]
04:51
Mes grosses influences musicales à cette époque étaient la musique de Frank De Wulf et le premier album de NTM,
Authentik . Ce sont un peu mes madeleines de Proust. Par la suite, entre 1993 et 1997, j'ai fait beaucoup de dates en tant que DJ sous le pseudo Freddy’j. Grâce a mon disquaire de l’époque, Oliver de Mental Groove, j'ai pu mettre la main sur beaucoup d’import US comme Direct Drive et surtout les premiers Drexciya qui ont influencé mon univers musical. J’ai commencé à acheter du matériel de musique et à bidouiller en 95. Comme je voulais différencier le DJ du compositeur, j'ai pris le pseudo Umwelt pour mes compos. C’est en 1997 que j’ai lancé mon 1er label, Fundata Records, avec un pote et sorti plusieurs disques. J’ai arrêté de mixer dans les raves fin 97 car le milieu m’ennuyait, et les histoires de business, d’argent et d’ego de DJs me faisaient halluciner. J'aspirais à plus de sérénité et me suis donc consacré pleinement à la musique.
Comment est-ce que tu décrirais ton son ? Dark electro, est-ce suffisant ? Oui c’est pas mal, tu peux rajouter drama aussi, c’est bien. J’aime bien les univers un peu sombres avec des thèmes et des atmosphères qui donnent la chair de poule.
Tu te vois davantage comme producteur, DJ, patron de label ? Tout en même temps ? Les trois sont importants et complémentaires. Même si patron de label est un peu plus difficile parfois car on est moins dans la création et plus dans l’administratif et le business.
Peux tu nous raconter la genèse de cet album en particulier ? Tu as créé les morceaux avant ou après que KilleKill te propose de sortir chez eux ? À la base il n’y avait aucun projet d’album. Lors du
festival Krake 2015, Nico de Killekill m’a demandé des tracks pour un EP sur un de ses labels. Je lui ai envoyé 14 morceaux pour qu’il me dise quelle orientation il souhaitait prendre. N’arrivant pas à choisir 4 titres pour un EP car trop de morceaux l’intéressaient, il m’a proposé de faire un album et de lancer un nouveau label, Boidae, pour le sortir. Les titres ont été choisis après. Pour finir, les morceaux collent parfaitement avec le concept album et je suis très content de cette collaboration.
Comment est-ce que tu produis ? J’ai cru comprendre que tu travaillais beaucoup en prise directe, est-ce que tu peux nous en dire plus là-dessus ? Tous les sons viennent de hardware ? Tu planifies un peu les arrangements et la direction que va prendre un morceau ou il y a beaucoup d’impro ? Oui je dis souvent que je fais de la musique comme un DJ. Il y a beaucoup d’improvisation, pas d’idée précise et je me laisse parfois surprendre par mes machines. Il y a deux phases dans la construction de mes tracks. La première consiste en la création des sons sur mes synthés...et l’autre phase consiste à faire des sessions et construire des tracks. Je mixe plusieurs versions et après je n’en garde qu’une seule. En fait je me prends pas trop la tête j’essaye surtout de me faire plaisir.
Du coup, on pourrait penser que tu fais beaucoup de lives alors que ce n'est pas le cas. Ca t'intéresserait d'en faire davantage ou pas ? En réalité j'ai fait très peu de lives, le dernier était à Malte en 2007. J'adore le DJing ! Les histoires d'ego de concurrence entre artiste, orga... ne m'atteignent plus voire m'amusent, du coup mixer en soirée est redevenu un plaisir. Je me sens également plus à l'aise pour faire des lives. Je devrais m'y remettre en 2017... l’idéal serait que je bouge tout mon home studio sur scène mais ce n’est malheureusement pas possible. Du coup je commence juste à réfléchir à une bonne configuration. J’aimerais quelque chose d’assez direct et simple et qui laisse beaucoup de liberté dans la création, en direct. Une chose est sur c’est qu’il n’y aura pas d’écran d’ordi.
Il y a une certaine mélancolie et un côté un peu abrasif, saturé dans ta musique. Qu’est-ce qui t’arrive ou qui t’inspire dans ces ambiances-là ? Oui, je crois que c'est un peu un mélange des deux, de choses douces parfois mélancoliques et de choses coupantes, violentes … et comme je n'aime pas ce qui est trop lisse, propret, sans âme, j'aime beaucoup la distorsion et la saturation des sons, sans aller sur l'expérimental.
Tu es propriétaire d’une presse à vinyle, n’est-ce pas ? Oui c’est une graveuse de vinyles. Cela me permet de graver mes propres vinyles et de mixer pas mal de mes prods non signées et des morceaux que des labels ne sortent qu’en digital.
Pourquoi ce choix qui semble assez délibéré de favoriser l’analogique, le physique et pas le digital ? Tu sembles pas du tout être un intégriste de la chose, du coup ce serait intéressant de comprendre tes raisons. J’ai toujours été à l’aise avec les vinyles et les machines. Pour le mix je trouve ça tellement plus facile de mixer sur vinyles. Préparer son flight case demande beaucoup de temps et oblige à être plus sélectif et exigeant. Pour le DJ comme le public, le vinyle a l'avantage d'exister ! Il se voit, il peut être noir ou coloré, il a des macarons, parfois il craque ou saute quand les cellules sont nazes. Bref, le vinyle vit ! Pour la composition, j’ai déjà essayé la MAO avec Cubase ... j’ai vite arrêté car je trouvais ça d'un ennui à mourir et je perdais beaucoup en créativité. Avec les machines c’est plus direct, plus physique, plus instinctif. Le toucher est très important pour moi aussi bien pour le mix que pour la composition.
Umwelt - Revolt [BOIDAE001]
06:08
J’aime beaucoup l’album, je ne te suis pas depuis des décennies non plus mais je peux sentir que ton son et tes prods sont encore plus précis qu’avant. Pour toi, c’est le fruit d’une évolution ? Tu l’as pensé comme un disque pour DJ et à mixer ou comme quelque chose d’autre ? Je crois que c'est ma sélection et la sélection finale de Nico Deuster du label Boidae qui donnent ce sentiment car il s'agit de morceaux qui ont été réalisés sur une période de 2 années. D'ailleurs d'autres morceaux de cette même période sont sortis sur d'autres labels comme Shipwerc, Return to Disorder, New Flesh et même Rave Or Die.
Peux-tu nous parler de l’artwork ? La photo de l’album à été prise par une photographe lomo, Cam Linh. On a fait connaissance lors d'un vol pour Berlin durant lequel elle m’a montré ses photos ; j’ai tout de suite accroché à son univers. La technique de la lomographie qu'elle utilise m'a beaucoup intéressé car il s'agit d'un travail analogique proche de ma manière de travailler la musique. Comme nous étions en recherche d'illustration pour l’album, j'ai soumis quelques clichés à Nico Deuster. Nous avons donc intégré un cliché de Cam Linh pour le verso de la pochette, et un cliché de Daniel Rosenthal pour le recto qui illustre aussi parfaitement les titres de l’album. Les thèmes de ces clichés, dans leur différence me semblent finalement assez proches et complémentaires dans leur façon de montrer plus ou moins clairement que quelque chose ne tourne pas rond.
Un truc que j’aime beaucoup chez toi, ce sont les petits morceaux plus ou moins ambient dans tes EP ou cet album. Pourquoi existent-ils ? Tu as prévu de sortir un LP avec beaucoup de morceaux comme ça, pas vrai ?
Ah oui je m’éclate bien à les faire ! J’ai toujours aimé avoir des intro notamment pour mes mixes...créer de courtes ambiances sonores avec un thème... un peu comme des musiques de film. Sortir plusieurs tracks dans ce style sous forme de LP est aussi en projet pour l’année prochaine. D’ailleurs l’intro de ma Boiler Room figurera très certainement sur ce projet.
Tu es actif depuis 25 ans, tu es reconnu dans l’underground depuis un moment mais j’ai l’impression qu’il se passe plein de trucs cool pour toi depuis quelques années, plus de reconnaissance, plus de bookings, etc, ce qui est amplement mérité. Tu vis comment cette ascension récente ? Depuis 2 ans, il y a un bon focus sur ma musique ; pas mal d’artistes et DJs apprécient mes sorties. En parallèle, je me suis remis aux platines. J’essaie de ne pas me prendre la tête. Je ressens beaucoup de bienveillance et je fais de belles rencontres. Je prends beaucoup de plaisir quand je mixe et visiblement, le public est réceptif, donc c'est cool.
Quelles surprises nous attendent en 2017 du côté d’Umwelt, ROD, NF ? Beaucoup de choses ! Mon prochain EP sort en décembre sur l’excellent label grecque Modal Analysis, suivront plusieurs EP l’année prochaine notamment sur pour le Label de Zadig, Construct Re-form. Je travaille aussi sur un suite de mon EP
Cultures of Resistances sur Shipwrec . Sur Newflesh plusieurs EP d’artistes orientés electro arrivent, le prochain est prévu pour Février 2017, avec un nouveau Rave Or Die, toujours en split. Les soirées RAVE OR DIE marchent bien, je travaille sur les prochaines, et j’ai aussi pas mal de belles dates a venir.
Days Of Dissident est disponible sur
le bandcamp de KilleKill et en écoute intégrale ci-dessous :