Déjà, remarquer le nom du groupe, cette torsion de l'adjectif "wonderful" en substantif à s'approprier, et constater à quel point l'idée est merveilleuse; ensuite constater la poésie formidablement funèbre du titre du disque, Only Shadows Now, que n'auraient sans doute pas renié Bill Callahan il y a une quinzaine d'année ou Robert Smith à l'époque de Faith ou Pornography, dans la fleur du macabre et des sentiments entiers; noter après la flamme allumée qui s'affiche sur la pochette et qui semble renier immédiatement le titre à l'instant évoqué; enfin se réjouir, possiblement à juste échelle, de la grande singularité de la musique belle et laide et fantasque que joue ce groupe basé à Brisbane, Queensland, Australie.
Formé de Robert Vagg (plus ou moins lié, si Discogs ne m'induit pas en erreur, au sein du groupe noise Kitchen's Floor) et de son cousin guitariste Danny McGirr, Wonderfuls joue une musique à la fois complaisante et très courageuse (les deux sont souvent liés), chancelante et très intense, qui doit selon Guy Mercier qui sort Only Shadows Now sur Bruit-Direct beaucoup à Durutti Column et au Berlin de Lou Reed. Et parce qu'on l'a cité plus tôt, on rajoutera à la liste d'influences possibles le Smog de The Doctor Came at Dawn, quand Bill Callahan mélangeait poésie gothique et histoires de dépression au premier degré, pour la qualité des nappes et les halos de reverbération sale à travers lesquels s'exprime la voix de Robert Vagg.
De cette voix, parlons en d'ailleurs, puisque c'est elle qui semble porter la raison d'être du projet: Vagg a l'air de chanter ce qu'il a à chanter ("des chansons douces et cogneuses sur la vie et la lutte dans l'Australie des mal classés et des déclassés, les communautés des petites villes isolées, la vie famélique dans les banlieues") sans qu'aucun surmoi ne le contraigne à rien, surtout pas à une musicalité sans raison d'être ou une quelconque joliesse déplacée, et c'est évidemment ça qui rend les chansons de ce disque très fort et un peu dément si précieuses à la face du monde, ce satané monde, qui nous surprend chaque jour qui avance un peu plus fort et un peu plus cruellement.
Remarquer d'ailleurs, pour finir, le "now" si terrible, si menaçant qui clôt le titre et qu'on traduira plutôt par "dorénavant" que "maintenant: c'est toujours au présent qu'on est le plus surpris de la laideur du monde, parce que la laideur du monde nous prend toujours pas surprise et a toujours l'air de venir de naître. Alors bien sûr Only Shadows Now n'est pas un disque facile, ce n'est certainement pas celui qu'on ait écouté le plus facilement ces derniers temps, mais c'est sans conteste celui qui a l'air le plus lucide et, en ce temps troubles et douloureux, celui qui nous fait le plus du bien. Ça s'achète chez tous les disquaires dignes ou en ligne sur le site de Bruit Direct.
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