Ça fait maintenant un petit moment qu'il se passe quelque chose avec l'Australie, et plus particulièrement au niveau de l'indie rock, du garage et du punk braillard qui gratte et qui irrite. The UV Race, Kitchen's Floor, Eddy Current Suppression Ring pour les plus anciens, Deaf Wish, TV Colours et j'en passe : le pays semble abriter ces dernières années ce qui se fait de plus viscéral, vicelard, cru et revêche en la matière, bien loin des poses de rockers en costard Hedi Slimane qui pullulaient au début des années 2000. On ne sait pas trop à quoi ça tient, à l'isolation géographique qui crée de la frustration au carré ou juste au fait que le revival dont ces jeunes gens s'emparent ne soit tellement plus d'actualité qu'il est dénué d'enjeux - et donc plus propice à tout donner sans pose ni artifice.
Prenez Thigh Master, nouvelle signature du label français Bruit Direct Disques - qui a décidément beaucoup de nez en ce qui concerne le rock australien décharné, après la claque belliciste de Kitchen's Floor (qui comme Thigh Master vient de Brisbane) et celle des délicieusement désespérés Wonderfuls il y a deux ans. Si Early Times, le premier véritable album des jeunes gens en question, serait passé comme une lettre à la poste (traduire : accepté mais un peu inaperçu aussi) il y a quelques années dans le flot de sorties indie rock plus ou moins concernées et énervées, il s'écoute aujourd'hui d'une oreille aux aguets, et donne l'impression que si la forme est usée jusqu'à la corde, le groupe qui la produit la découvre justement au moment où il s'en empare.
Ce surplus de spontanéité (infime mais qui fait tellement la différence) se retrouve dans le petit éraillement dans la voix, dans le caractère "hymne des déclassés" du morceau "Room Doom" en écoute ci-dessous (à reprendre forcément bourré dans ton rade de quartier à une heure tardive), ou encore dans cette impression que lorsque le groupe plaque maladroitement ses accords barrés, absolument plus rien d'autre ne semble compter pour lui à ce moment précis. Ce qui l'éloigne des impératifs de coolitude de pas mal de leurs comparses à guitares, et nous donnerait presque envie de sortir l'argument de la sincérité, qu'on essaie le plus souvent d'éviter mais qu'il est difficile de ne pas convoquer ici, tant les chansons de Thigh Master (et on le redit, de celles de beaucoup de leurs compatriotes australiens aujourd'hui) semblent habitées par une urgence et un malaise à la fois impérieux et communicatifs.
Le premier album de Thigh Master Early Times est sorti la semaine dernière chez Bruit Direct Disques. Il se commande ici.
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