Commençons par une petite confession rétromaniaque: on a entendu peu de morceaux aussi irrésistibles ces 3 derniers mois que "Nonononon". Tout y est frais, le question réponse fille / garçon, le ton de la chanteuse, le ton du chanteur, le gimmick kraftwerkien, la poésie arty, matérialiste, limite cratyliste, subtilement distanciée et superbement bien sentie des paroles ("Avez-vous remarqué malgré la vitesse à laquelle nous roulons le bleu de la mer?")... Et sans vouloir nous dédouaner de la rétrophilie honteuse qui sous-tend effectivement notre affection pour la chanson en question, peu nous importe quand on l'écoute qu'elle provienne d'une cassette oubliée enregistrée à Saint-Étienne à l'orée des années 1980 puisqu'on lui ferait sûrement une fête si elle était le fait d'un groupe de gamins formé avant-hier matin.
Mais puisque Cha Cha Guitri ont vu le jour dans le département de la Loire sous le règne de Giscard et qu'on ne saurait passer à côté d'un bon jeu de mots ("synth étienne", qui dit mieux?), il nous faut brièvement raconter d'où viennent les 13 chansons et miniatures qu'on trouve dans cette merveilleuse petite anthologie. La majorité vient précisément d'une cassette éditée à quelques centaines d'exemplaires en 1983 par Kronchtadt Tapes, label stéphanois fondé par Laurent Malfois des Babylon Fighters (groupe ska punk pas festif pour un sou signé sur Bondage - qui s'en souvient?) et dont les compilations comptent tout ce que le rock alternatif français des années 80 comptait de groupes importants, Les Thugs, La souris déglinguée, Parabellum ou O.T.H.
Serge, Dominique, Charly et Marie de leur côté, sont passés à côté du Top 50 et de la célébrité. Suite au succès d'estime de leur mini-album motivé par une rotation lourde dans Po-Go, l'émission d'Alain Maneval sur Europe 1, il y eut bien une rencontre avec un manager de chez Virgin, mais elle n'a débouché sur aucun contrat juteux. Ne vous passez donc pas la rate au court bouillon si vous n'aviez jamais entendu parler de Cha Cha Guitri jusqu'à ce matin: mis à part quelques collectionneurs, fans de new-wave de France hardcore et une poignée de punks stéphanois, tout le monde avait oublié Cha Cha Guitri. On remercie donc chaleureusement les gens de Serendip Lab et Born Bad de nous mettre cette pépite entre les oreilles.
Car à l'instar des deux albums fantastiques de Deux et à l'inverse d'une bonne moitié des bizarreries minimal synth réédités ces deux dernières années, une bonne partie de French Synth Wave, St Etienne - 1981 donne effectivement l'impression que Cha Cha Guitri "aurait pu rivaliser sans peine avec Elli & Jacno ou Telex". Voire plus si affinités.
Frais, crédibles, presque tout le temps souples et inspirés, Cha Cha Guitri donnaient dans une synth pop très mélodique et totalement obsédée par Kraftwerk, dérivant ici ou là vers une proto electro franchement bluffante de modernité (écoutez et réécoutez les drexciyens "1938 les petits nains" et "Art nègre" pour voir où je veux en venir).
Là où ils surtout emportent le morceau, c'est dans leur manière littérale et superbement vivante de faire mettre en mots leurs chansons-concepts d'abord un peu téléphonées dans la France du début des années 80: lumière blanche des supermarchés, embouteillages dans la capitale, danse en boîte, pages électroménager du catalogue Manufrance, tout est sujet à des enfilades de vers dépouillés mais jamais superficiels, constellés de références ravissantes (Totem et tabou, le Bauhaus, Martin Denny) et d'alitérations magiques (un exemple pour la forme: "Les autos glissent, les journeaux titrent, où le malade veut-il aller? Dansez toujours, perdez pas le rite, il accomplit l'acte sacré").
Bref, on s'arrête ici de manière un peu brusque parce qu'on a pas toute la journée et que nos mots sont sans doute superflus en regard du stream intégral de l'anthologie que nous vous proposons ci-dessous, mais vous voyez où on veut en venir: Cha Cha Guitri a beau ne plus exister dans le monde de la pop de France depuis trois décennies, sa redécouverte en 2014 n'a rien de gadget. On a même l'impression curieuse qu'elle tombe à pic.
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