Pendant qu'Animal Collective fait tourner son nouvel album en boucle dans un aéroport d'Amérique, Ty Segall envoie son nouvel album en VHS aux journalistes. On a reçu l'objet par la poste, et on s'est dit que ça serait marrant de ressortir le vieux magnétoscope. Pour ça, j'ai dû me rendre chez mes grands-parents en banlieue en semaine (en semaine !), et me suis attelé à la tâche de la preview track-by-track du 9e album de Ty Segall en 7 ans (sans compter les innombrables splits et collaborations). Les membres de J.C Satàn m'avaient mis sur la voie lorsque je les avais interviewés : Emotional Mugger serait rempli de synthés et de punk d'obédience 90's. Après un teaser parfaitement ridicule et un communiqué de presse pas mieux, il me tardait de découvrir l'objet en question.
Premier obstacle : j'arrive chez mes grands-parents, et tout ce que je peux dégoter est une vieille télé miniature qui ne doit pas peser plus de 3 kilos et dans laquelle un magnétoscope est incrusté (en gros, on enfonce directement la VHS dans la télé, si vous voyez ce que je veux dire). La télécommande ne marche pas, et les touches restent enfoncées dans la télé lorsqu'on appuie dessus. Impossible de faire pause, impossible d'avancer ni de rembobiner, et en plus de ça la qualité du son est exécrable. Je lance le machin, ça commence par des images de Ralph Fiennes période Strange Days (il y a probablement un truc auto-réflexif de la part de Segall, mais je chercherai plus tard), au début je crois que j'aurai le droit à un film comme les journalistes américains ; mais non, la musique de Ty Segall se cale sur les images et la première chanson de Emotional Mugger débute.
(les photos ci-dessous ont été prises par mes propres soins, directement avec la fonction Photo Booth du laptop).
1 - "Squealer"
Alors là on tient déjà quelque chose. Un peu de travers, un peu tordu, super cool. Une chanson mid-tempo, tandis que Jay et Silent Bob défilent sur l'écran et font leurs conneries habituelles. Le truc étrange tient au fait que Ty Segall n'abandonne pas ses espèces de solis 70's tendance Hawkwind, mais y ajoute des claviers discordants froids et chelous, un peu comme si Chrome ou Nervous Gender se téléportaient dans un champ de maïs et se mettaient à fumer tout ce qu'il leur tombait sous la main.
2 - "California Hills"
Un truc encore un peu plus heavy, un peu moins de synthés, mais des ruptures de rythme et de brusques changements de direction qui montrent que Ty Segall peut aujourd'hui se permettre pas mal de choses. On rentre un peu dans un pot-pourri que nous avait habitués le garçon jusqu'ici, une sorte de catalogue de ses influences qui pour moi est un peu son pêché mignon. Un coup fuzz, un coup punk, un coup patchouli, un coup pop, le tout est un peu démonstratif, très branleur, mais cette fois justement sauvé par une absence de calcul et une spontanéité bienvenues. Tant et si bien que le morceau finit un peu en eau de boudin, mais c'est pas grave.
3 - "Emotional Mugger / Leopard Priestess"
Là, on a l'impression que c'est le genre de morceau qui devait passer dans le magasin de John Cusack dans High Fidelity. Un peu Beta Band, un peu Beatles, des grosses guitares fuzz, avec cette fois exclusivement des images de groupes 90's qui défilent à l'écran.
4 - "Breakfast Eggs"
Il m'est rigoureusement impossible de vous parler de cette chanson, parce qu'à ce moment-là, la télé a tout simplement failli rendre l'âme. La VHS continuait de tourner (j'entendais le bruit), mais l'écran s'est brouillé et le son a coupé pendant plusieurs minutes. Impossible d'appuyer sur pause, ni de sortir la VHS ou même d'éteindre la télé, j'ai dû sortir le marteau et m'apprêtais à défoncer cette vieille carcasse pour sauver la VHS lorsqu'une fausse manip' que je ne m'explique pas (à coup de marteau, oui) a fait revenir les choses plus ou moins à la normale. Ouf.
5 - "Diversion"
À vue de nez, le tube de l'album. Même si je n'ai pu choper le morceau qu'à la moitié (télé de merde), le refrain imparable et le solo de guitare à la fois baisé et implacable font que j'ai pu fredonner Diversion quasi-instantanément. Une sorte d'évidence pop éraillée, un peu comme le faisait Segall il ya quelques années sur des morceaux comme Would You Be My Love ou Girlfriend. La meilleure période, quoi.
6 - "Baby Big Man"
On retourne vers un truc plus lent et heavy, avec le synthé qui se cale sur le riff de la guitare. Là aussi on a affaire à un tube, mais un tube dormant, qui se ne révèle pas tout de suite. Sans doute le truc le plus drogué de l'album, si on ferme les yeux on voit le personnage de Brad Pitt dans True Romance, hilare et complètement défoncé avec son bong sur son canapé en train de se foutre de notre gueule.
7 - "Mandy Cream"
C'est le genre de morceau qui nous montre à quel point Ty Segall est passé de sympathique garageux à songwriter surdoué en quelques années (et une tonne d'albums). Intelligence dans les détails qui fait mouche, richesse et versatilité des arrangements et immédiateté de l'ensemble, la chanson est entrecoupée d'un passage de synthé au milieu un peu fou et noisy, un pont désarçonnant et un solo qui arrivent d'on ne sait où. Segall s'amuse avec les structures, ça tue.
8 - "Candy Sam"
Là, le mec est peu plus en pilotage automatique, tandis qu'un clip de Teenage Fanclub passe à l'écran, le refrain marche et est fédérateur, on est vraiment dans le mix entre Black Sabbath et les Beatles (guitare fuzz et heavy, tempo upbeat et efficacité pop) que nous refourgue Segall depuis 2-3 ans. Pas désagréable, pas franchement mémorable non plus. Des voix d'enfant et une guitare folk concluent le morceau.
9 - "Squealer Two"
Il revient à un truc mid-tempo du début d'album, et on comprend pourquoi il a foutu tous ces clips de groupes 90's un peu pétés par-dessus (là, c'est au tour de Weird Out de Dandelion d'apparaitre à l'écran - avis aux amateurs). En écoutant ce genre de musique, on a presque envie de faire des regards caméra en noir et blanc et de se prendre la tête dans les mains recouvertes de nos manches de pulls trop grands pour nous (ma définition d'un clip 90's). Blips-blips de clavier, répétition du riff qui ralentit la chanson à la fin.
10 - "W.U.O.T.W.S"
Pas le temps de chercher si cet acronyme désigne réelement quelque chose, ce morceau qui n'en est pas vraiment un est de toute façon un gros WTF plein de collages, de rewinds de K7, de fausses reprises de 3 secondes des Beatles ou des Flaming Lips, et ressemble à une version sonore de ce qui doit passer par la tête d'un stoner qui mate Adult Swim à 4h du matin.
11- "The Magazine"
Le clip d'"Alright" de Supergrass défile sur l'écran, et on apprend qu'il est issu de la B.O de Clueless. Assez lent au début, ça sent le patchouli et les reflux de Silver Apples (enfin, vaguement), le truc devient vraiment noisy au bout d'un moment et s'arrête d'un seul coup. On aurait aimé que ça dure un peu plus longtemps, mais non, tant pis. On n'aura pas non plus droit à un film en accompagnement de l'album, finalement.
Alors, verdict ? Ty Segall a-t-il sorti un exercice de style pénible ou la pierre angulaire de sa discographie ? Pour l'instant, il est un peu trop tôt pour le dire (et c'est un peu délicat de juger un album en l'ayant écouté une seule fois et d'une traite), mais on peut déjà se mettre d'accord sur 2 ou 3 choses. Déjà, Emotional Mugger est indéniablement un excellent album, où, contrairement à Manipulator, on n'a pas trop l'impression de se trouver en face d'un catalogue de bonnes influences qui se tireraient la bourre de manière un peu dispersée (même si ça restait un bon disque). Segall reserre un peu les boulons, et sa croisée bizarre entre Brainiac, Chrome et ses habituelles marottes 60's passe particulièrement bien à l'oreille. On vous en reparle vite, lorsqu'on aura le premier clip ou je ne sais quoi d'autre à se mettre sous la dent. En attendant, je vais essayer de réussir à sortir la VHS du lecteur, ce qui me semble mal engagé.
Emotional Mugger sort le 22 janvier sur Drag City.
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