On ne s'improvise pas harsh noiser. Le truc a pourtant l'air à la portée du premier pékin un tant soi peu appareillé puisqu'il suffit de brancher deux machines à l'envers ou de laisser la guitare posée contre le HP de l'ampli et de monter très fort le volume. Mais soumettez donc à un aficionado l'idée comme quoi la discipline aurait quelque chose à voir avec la facilité: il vous répondra à coup sûr (et à raison) que ce n'est pas par hasard que l'art du bruit volontaire s'accompagne toujours d'une ascèse artistique totale. Le harsh noise ne se joue pas, il ne s'interprète pas, il se vit et se pratique de manière exclusive; ou alors il n'est que triste boucan d'ambiance, et Dieu sait que toute l'essence du genre tient à cette infime mais cruciale différence. Le loup en soi ne se trouve pas comme ça.
Tout ça pour dire qu'on a affaire ici à du harsh pur premium: la rencontre de deux mastodontes du Japon et de deux activistes hardcore de Norvège, enregistrée en studio dans la Mecque de la noise mondiale, Osaka. Il y a d'abord Yoshiyuki "Jojo" Hiroshige, leader des légendaires Hijokaidan et initiateur plus ou moins involontaire du genre à la fin des années 70; il y a ensuite Pika, moitié des très regrettées Afrirampo et collaboratrice régulière d'Acid Mothers Temple dont on guette le moindre sursaut; il y a après l'insatiable et très volontaire Lasse Marhaug, dont la discographie monstrueuse occupe déjà 6 pages sur Discogs; il y a enfin Paal Nilssen-Love, batteur de free furieux qui co-dirige vaillamment The Thing (avec Mats Gustafsson) et Fire Room (avec Marhaug et Ken Vandermark).
"Techniquement", puisqu'il y a deux batteurs dans la pièce, on a donc ici pas tout à fait affaire à du harsh noise pur et dur mais plutôt à une sorte de free noise augmenté (j'ai envie de dire "exagéré") par la lignée la plus sauvage du free jazz européen, initiée dans les années 70 par le saxophoniste allemand Peter Brötzmann. Mais le rendu est particulièrement puissant et habité: du bruit très agité et très offensif, boosté par des roulements de roulements de batterie très brutaux pour faire gronder plus fort dans les profondeurs. Singulièrement jusqu'au-boutistes dans l'agitation et dans leur volonté d'exposer l'animalité de la performance en train de se dérouler, les quatre loups semblent renvoyer directement aux fondations posées par le guitariste Masayuki Takayanagi, émancipateur essentiel de la musique improvisée dont le parcours va du jazz cool (dans les années 50) au lâcher dyonisien le plus indompté. Egalement surnommé Jojo, Takayanagi est un peu le Père de tous les joueurs de jazz en chasse de leur loup intérieur, et celui qui a permis au harsh noise de venir au monde. On exagère donc à peine en disant que ce LP sorti par le label français Premier Sang est important.
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