La seule chose qui cloche dans À l'amitié, c'est son intense exigence. La première fois que Genesis est parti en tournée aux États Unis, le groupe a notoirement essuyé des huées et des nuées de bouteilles de bière et sans comparer le beau collectif français au très discutable mastodonte anglais, on craint un brin que son nouvel album provoque quelques rejets similaires pour sa singulière radicalité, voire que quelque journaliste fan de dance rock à la Kitsuné se pique de sortir le genre musical rebutoir ultime: le rock progressif.
Comme son nom l'indique, À l'amitié se compose exclusivement de musique concoctée en circuit fermé, par une bande de musiciens effectivement liés par des liens amicaux et concernée uniquement par son propre désir de s'étonner elle-même. Le souci n'est pas tant que l'on ait affaire à de la musique pour musiciens (quoiqu'il n'est pas impossible que vous vous surpreniez vous-même à vous adonner à l'air drumming sur quelques morceaux) mais à une exigence musicale et formelle très inhabituelle pour un groupe issus de l'underground indie hexagonal.
Le risque de méprise nous chagrine parce que la musique qu'on peut entendre sur À l'amitié est magnifique. On n'ira pas jusqu'à dire que les gens d'Aquaserge cherchent à être vos amis, mais on est certains qu'ils ne seraient pas contre. Surtout, ils jouent la musique psychédélique la plus digne et la plus psychédélique qui soit, c'est-à-dire celle qui s'invente ses propres moyens pour absorber l'esprit, le retourner comme un gant et le propulser à 650 années lumières de la Terre, vers la nébuleuse de l'Hélice (celle qui ressemble à un oeil).
Plutôt que d'imiter une énième fois les ancêtres de Californie, Aquaserge préfèrent fouiller dans la faille et effectivement inventer, parfois au-delà de la part congrue accordée par la pop: par exemple en chantant avec un accent occitan, en s'adonnant à la poésie porno soft ou en se piquant de passer 2 mesures 1/4 de trop sur la syllabe du mot "océan".
Traditionnellement, esthétiquement, À l'amitié n'assume surtout aucun lien avec le canal historique du rock progressif.
Les figures tutélaire de Gasc & co. seraient plutôt à excaver du côté de Robert Wyatt (auquel est dédié "For Bob"), de ses cousins géniaux d'Henry Cow, d'Henri Dutilleux, de la sainte triade Morricone/Nicolai/Cipriani, du Mahavishnu Orchestra ou des 127 groupes obscurs qu'on peut entendre dans Stereolab : soit 100% des références que le mélomane soucieux de briller en société pourra citer à voix haute sans risque l'opprobre ou la risée.
Argument complémentaire de poids, un pourcentage non-négligeable de l'équipe rédactionnelle de The Drone écoute À l'amitié en boucle depuis quelques semaines et le juge 100% digne de passion et d'admiration. C'est vous dire si derrière ses airs retors, la musique d'Aquaserge est chic. À l'amitié sort le 26 mai.
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