Bow Wow Wow - "C30 C60 C90 Go!" (EMI, 1980)
En préambule à cette nouvelle rubrique exclusivement destinée aux sorties de musique en format cassette, une petite explication. "C30 C60 C90 Go" de Bow Wow Wow est évidemment le morceau qui donne son nom à cette rubrique, mais également, symboliquement le tout premier single de l'histoire de la pop à être sorti en cassette. Disponible depuis le milieu des années 60, la cassette a commencé à prendre son véritable essor à l'orée des années 80 avec l'arrivée du Walkman de Sony (disponible en Europe depuis 1979) et la démocratisation des cassettes vierges, jusqu'à devenir le format musical le plus populaire au Royaume-Uni pour la majeure partie des années 80 au grand dam d'une industrie phonographique terrifiée par l'explosion de la copie privée dont elle répétait en boucle, vous connaissez la chanson, qu'elle était une menace contre la création.
"C30 C60 C90 Go!", donc la face B titrée "Sun Sea and Piracy" était en fait totalement vierge, fait partie des réponses les plus délicieusement cinglantes de la pop à "Home Taping Is Killing Music" ("la copie privée tue la musique"), campagne lancée par la British Phonographic Industry pour endiguer l'explosion de la copie privée. Complice involontaire, EMI, la maison de disques du groupe à l'époque, alla jusqu'à refuser d'en assurer la promotion.
Quant à la resurrection toute romantique du format cassette depuis une petite dizaine d'années dont cette rubrique est un énième témoignage, c'est une toute autre histoire qui mérite bien plus qu'un préambule à une nouvelle rubrique pour être analysée; soulignons tout de même que ce retour de flammes inattendu est la preuve indiscutable que la création musicale se fiche finalement pas mal que l'industrie qui la diffuse et la markette traverses des mauvaises passes parce que ceux qui l'écoutent et se passionnent pour ses diverses incarnations trouvent des stratagèmes pour l'écouter, la partager, la vivre sans payer leur dime. Pensez tout de même à sortir le porte-monnaie pour les sorties pour la plupart confidentielles dont nous parlons ici: si des labels méritent d'être soutenus financièrement pour leur effort, ce sont bien ceux qui sortent ces cassettes.
Kara Lis Coverdale "Aftertouches" (Sacred Phases)
Le jour où Kara-Lis Coverdale a posé les mains dans la facture du céleste Virgins de Tim Hecker se doutait-elle qu'elle se glisserait de facto dans les petits papiers des gratteurs de papiers très avertis ? Oui. Qui s'assemblent doit, à fortiori, bien se ressembler et qui aime à déposer offrandes au pied de l'autel de Tim Hecker succombera sans mal aux charmes de Kara-Lis. En très gros résumé, Kara-Lis est l'enfant d'un divorce entre Philip Glass et Steve Reich, où elle se refuse d'en aimer un plus que l'autre. Ceci dit, Aftertouches est moins une scène de déchirement qu'un repas de cette famille placidement recomposée, où Kara s'installe entre Oneohtrix Point Never et Max Richter. Belle table. Un gimmick, une phrase choc ? La Montréalaise est une Circé de ce que les anglos-saxons dénomment le "Modern classical" (c'est curieusement plus censé que la traduction littérale). En somme, des symphonies de poche pour woman-machine, l'analogique la larme à l'œil. MD
Drainolith "Hysteria" (NNA Tapes)
Le Canadien Alexander Moskos est déjà responsable d'un beau fait d'arme : il a sorti le disque le plus bizarre du catalogue Spectrum Spools, et de loin. Actif depuis le milieu des années 90, guitariste dans le groupe punk-machin-qui-filme-ses-clips-en-Hi-8 AIDS Wolf et adepte du fameux combo vestimentaire veste en skaï / patch heavy metal ironique / pull mauve et jaune / lunettes de soleil de retraité raciste d'Orlando, sa musique est souvent présentée comme du "Robert Ashley sous zolpidem" mais nous évoque plutôt celle des quatre premiers Royal Trux, en un peu moins intense et un peu moins bien. Au pire, une épave de l'indie US noise en bout de course, au mieux un classique contemporain. OL
Eisenhower "Rough Draft of a Thin Piece" (Salope Cassette)
Le type s'appelle Einsenhower, le label Salope Cassette… l'histoire se raconte presque intégralement avant de lancer le lecteur. Et comme on se connaît, on s'apprécie, on va se parler franchement, on aborde ici du collage vaguement odieux. Pourquoi en parler? Parce qu'une fois la farce passée, on distingue bien plus qu'un simple coussin péteur. C'est Dada sur les bords - s'il avait une Joconde sous la main - il lui collerait une moustache et ça puis ça rit sous cape et pince sans rire. Einsenhower (ce nom…) garde en tête les primes épreuves des beaux diables de la musique concrète (Pierre Schaeffer en tête) - surtout le nuage hantologique - l'aspect le plus facétieux de Ligeti et un ton très Warhol-ien / "post-pop" dans la démarche sonore. Dit comme ça, ça semble appétissant mais croyez-nous, l'objet reste éprouvant. MD
GDL "GDL" (Where To Now?)
Garrett Littler a 21 ans, il est originaire de Washington DC, il est fan de "la scène cassette DIY allemande des années 80, de DAF, Der Plan, Palais Schaumburg et Grauzone" et il n'a vraisemblablement jamais ni vu, ni utilisé un ordinateur de sa vie. DC, ce ghetto. OL
Milions "Line In The Sky" (Field Hymns)
Thomas Pynchon provoque autant des élans psychédélo-paranoïaques chez des auteurs à grosses pattes comme P.T Anderson (le rédacteur en chef de ce site se désolidarise absolument de ces propos qui n'engagent que les auteurs de cette notule, ndlr) que des élans psychédélo-paradisiaques chez les marchands d'ascenseurs astral vendu en cassette. Ce dernier se nomme David Suss mais se fait appeler Milions pour produire Line In The Sky, point d'interrogation posé entre texture de l'air et crachat stellaire. Concrètement, il s'agit d'étaler sur quatre titres du drone fait avec de la lave de volcans éteints, du post-rock de cérémonies qui n'ont pas eu lieu et de la noise en braille. C'est sorti chez Field Hymns, label très installé dans sa voie vers l'espace et ses firmaments. MD
Ahnnu "Perception" (Leaving)
Leland Jackson fait paraitre ces jours-ci une cassette qui porte (de la perception) très bien son nom puisqu'il déroule de l'illusion d'optique en collages qui puent la weed. Voilà un jeune homme qui prend autant de plaisir à coller les sons que les feuilles à rouler. C'est communicatif. Ça reste néanmoins de l'excellent beatmaking surréaliste - voire du hip hop d'artiste sonore - totalement acquis à la science des rêves. Perception avance tout en jeux de réflexions et ricochets, se dresse falot et lumineux et connaît cette propension toute lépreuse à se dégingander en cours de route. Ça sort chez Leaving Records, succursale (de shoot) de la maison Stones Throw montée par MatthewDavid où l'on trouvera le prochain High Wolf. MD
Celebration Splits Series 1 - Puzupuzu & Samhain (Celebration)
Le hasard n'existe pas : si Puzupuzu - dont on ne sait pour ainsi dire rien, si ce n'est qu'il joue dans Traaps (ou Traps, d'ailleurs, ce n'est pas très clair), un groupe suffisamment burné pour donner un titre de Pynchon (him again) à l'une de ses tapes cradingues - a partagé la scène avec High Wolf/Black Zone Myth Chant dans la belle ville de Reims il y a quinze jours, c'est qu'il a, à l'instar du Rennais, une appétence un peu perverse pour le répétitif et l'hypnagogique. Sur cette cassette qui inaugure une série de splits édités par la maison Celebration (dont on pense avoir compris qu'elle est tenue par le même Puzupuzu), on trouve aussi un tryptique de presqu-hip-hop noisy bricolé avec "des VST dégueus de flute et de sanza" signé Samhain, dont on a acheté l'automne dernier un CD-R avec une jeune fille et un crâne sur la pochette, qui n'a envie de quitter ni notre Discman® ni notre cerveau. On garde celle-ci pour l'autoradio de la 205. DB
Exquisite Corpse "Strings & Broken Things" (Tesla Tapes)
Derrière ce blaze exquis se cache Sam Weaver, membre avec Gatto Fritto du trio space disco Hungry Ghost et magicien du son, à en croire les mec bien placés pour le savoir du shop Boomkat, derrière Infinity Machines, le dernier monstre du collectif mancunien zinzin Gnod (Tesla Tapes est le label officiel des "gnodheads"). Et effectivement, sa musique de cordes qui vibrent et de bruits en liberté sonne un peu comme du Gnod de poche, malaxant / pervertissant / martyrisant une sorte de soupe folklorique imaginaire (Sir Richard Bishop, Six Organs of Admittance et la bande Constellation ne sont pas si loin) jusqu'à l'extase bruitiste-électronique. C'est pas mal. OL
Glass Isle "Glass Isle" (Mordant Music)
Dernier projet en date à avoir les honneurs de paraître au catalogue du label mystico-psycho-géographico-alchimique de Ian "Baron Mordant" Hicks, Glass Isle de Glass Isle nous balade dans les angles morts, les zones oubliées et les périphéries des zones périurbaines d'Angleterre en usant de diverses formes et non-formes, divers formats, divers moyens électroniques, semi-électroniques et pas électroniques du tout (on distingue même quelques fois des voix dans les sphères). Ni tout à fait ambient ni tout à fait narratif, Glass Isle ressemble en fait à une sorte de folk super urbain qui serait complètement déprimé de l'être - c'est dire si ça rentre pile-poil dans le cahier des charges de Mordant Music. OL
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