Dans le vaste débat sur la nostalgie persistante qui minerait l'esprit de notre temps (cette rétromanie très complexe conceptualisée par le journaliste anglais Simon Reynolds à laquelle on fait dire tout et n'importe quoi depuis une poignée d'années), il y a la crise du support: submergé par l'abondance et les possibilités infinies de la musique en ligne, le mélomane contemporain en déficit de désir souffrirait en premier de la rupture avec les vinyles, les cassettes et les pochettes, ces vecteurs imparfaits dont il regrette aujourd'hui jusqu'aux limitations techniques qui les définissaient.
D'où la fétichisation exacerbée à notre époque pour ces vieux objets; d'où surtout la mystification dont fait l'objet le mélomane moyen des années 70 et 80, ce héros enviable qui aurait connu le privilège d'évoluer dans un Eden idéal en apesanteur entre offre limitée et rareté pondérée.
On prédit donc que la réédition de C86 va faire plaisir. Pensez donc: une compilation cassette, assemblée par le journaliste Neil Taylor, Rough Trade et le NME au moment charnière où l'indie pop britannique commençait à se reconnaître dans le miroir, et qui a marqué la jeunesse de son époque au point que son titre générique ("C" pour le support, "86" pour l'année) est devenu le nom de la scène qu'elle présentait? C'est ce qu'on appelle du pain béni pour l'Historien.
La question maintenant est de savoir jusqu'à quel point le "son" caractéristique de l'archipel (pour aller très vite et agacer les spécialistes, la pop urgente, innocente, chétive et vacillante qu'on taggue aujourd'hui comme moment zéro de l'indie pop) est associée pour de vrai aux specificités du son cassette. La compilation a été rééditée en 1987 en LP mais l'Histoire a pour ainsi dire scellé l'union entre le son chancelant de ces groupes dans la fleur de leur jeunesse DIY et le son chancelant et gorgé de souffle de cet adorable support de masse.
Les auditeurs / acteurs de la première heure, surtout, vous affirmeront sans doute tous que les chansons de la compilation (dont deux tiers des groupes ont passé le cap de la postérité avec les honneurs) s'écoutent mieux sur la cassette d'origine. Au-delà du purisme et des fantasmes, on touche là à la part inexpliquée qui unit l'art et les recoins les plus reculés de l'intimité, et qui peut lier pour l'éternité un morceau de musique à un bidule en plastique et un moment charnière de la vie privée. La madeleine sera rééditée en 2014 en double-cd augmenté sur Cherry Red mais on peut d'ores et déjà tout réécouter en trois clics et deux coups de cuillères à pot - ou en cliquant sur la playlist ci-dessous (merci Self-Titled Mag).
Tracklisting:
Side one:
Primal Scream – ‘Velocity Girl’
The Mighty Lemon Drops – ‘Happy Head’
The Soup Dragons – ‘Pleasantly Surprised’
The Wolfhounds – ‘Feeling So Strange Again’
The Bodines – ‘Therese’
Mighty Mighty – ‘Law’
Stump – ‘Buffalo’
Bogshed – ‘Run to the Temple’
A Witness – ‘Sharpened Sticks’
The Pastels – ‘Breaking Lines’
Age of Chance – ‘From Now On, This Will Be Your God’
Side two:
The Shop Assistants – ‘It’s Up to You’
Close Lobsters – ‘Firestation Towers’
Miaow – ‘Sport Most Royal’
Half Man Half Biscuit – ‘I Hate Nerys Hughes (From The Heart)’
The Servants – ‘Transparent’
The Mackenzies – ‘Big Jim (There’s no pubs in Heaven)’
Big Flame – ‘New Way (Quick Wash And Brush Up With Liberation Theology)’
Fuzzbox – ‘Console Me’
McCarthy – ‘Celestial City’
The Shrubs – ‘Bullfighter’s Bones’
The Wedding Present – ‘This Boy Can Wait’
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