Dans le petit monde de l'avant-garde, le nom de Dumitrescu est une sorte de sésame social: n'espérez pas vous faire des amis au bar de Musique Action après le concert de la Cellule d'intervention Metamkine si vous ne l'avez jamais entendu. Poussé non-stop par le mensuel de référence The Wire, adoré par Stephen O'Malley, plein de harsh noiseux, de gens de la musique industrielle et de la scène Rock in Opposition, ce Roumain né en1944 est, à l'instar de l'Italien Giacinto Scelsi, un des rares esprits absolument libres de la musique contemporaine, un maverick d'autant plus séduisant que sa biographie est riche en choses rares et attrayantes pour le jeunôt sans idéologie (je suis d'humeur roman générationnel): études avec Celibidache, émergence aux premiers temps plein de promesse du règne de Ceausescu, fondation d'un ensemble mythique (l'Ensemble Hyperion), engagement romantique et artistique avec sa première disciple Ana-Maria Avram... Surtout, Dumitrescu est l'un des derniers grands explorateurs mystiques du Son.
Affilié au courant spectral par défaut lexical et paresse critique, il définit systématiquement son travail comme une étude précisément phénoménologique, orphique, cosmologique et biologique du phénomène acoustique, une "alchimie cryptique de la source sonore". Au-delà des guéguerres des avant-gardes et de la théorie qui prévaut si souvent sur l'expérience de l'auditeur (ce petit batard inculte et égoïste), Dumitrescu place le phénomène sonore au coeur de sa démarche et remet les moyens pour le faire survenir ou le déguiser (de la partition démantibulée au logiciel informatique) à sa juste place d'outil nécessaire. Or ce jusqu'au boutisme merveilleux l'a souvent amené à flirter avec le bruit presque pur et avec des écoles musicales disons, moins corsetées.
Le très noisy Pierres Sacrées (1989 - 91) que O'Malley et Peter Rehberg republient aujourd'hui sur Ideologic Organ est un classique de ses classiques et une porte d'entrée si ce n'est idéale, particulièrement frappante dans son oeuvre. Interprétée sur piano préparé, plaques de tôle et divers objets, c'est ni moins qu'un océan bruitiste qui ne dépareillerait pas sur le dernier Wolf Eyes. Dans un entretien avec Tim Hodgkinson de Henry Cow and co de 1997, le compositeur s'en rappelle comme d'un moment décisif de sa recherche: "Pierres Sacrées placed me not only in the avant garde but also in the avant garde of deliberate and progressive use of distortion as an integral and necessary part of music...". Si c'est pas radical, ça. On vous a trouvé un Youtube pour que vous vous fassiez une idée.
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