" La plus grande rareté de ma discothèque et un de mes disques préférés, c’est le CD Permanent Damage des GTO’s. C’est un album de 1969, qui n’a connu que très peu d’éditions: trois pressages (américain, anglais, allemand) en 1969 et une réédition américaine en 1989. J’ai un exemplaire de l’unique édition CD, en 1989, chez Enigma Retro, épuisée depuis très longtemps.
Les GTO’s (Miss Pamela, Miss Sparky, Miss Lucy, Miss Christine, Miss Sandra, Miss Mercy, Miss Cynderella) n’étaient pas « des groupies », c’était « LES » groupies. Pamela des Barres et ses copines étaient des Alice au pays de la pop music : elles passaient de Jimmy Page à Keith Moon et de Jim Morrison à Brian Jones comme Alice passe du Chat de Chesire au Chapelier Fou, et de Tweedledee et Tweedledum au Roi Rouge.
A chaque figure de l’histoire du rock sa part de l’énigme à dérober. A chaque chamane sa clé pour ouvrir une des portes de notre cœur. Ce qu’a très bien compris Nine Antico dans son Autel California, dans lequel « Bouclette » – un « double » de Pamela Des Barres – vit sa vie d’amoureuse du rock comme un récit initiatique et onirique inquiétant, plein de châteaux à quitter, de jardins à traverser, et de futurs membres de la Family à éviter…
Frank Zappa avait eu l’idée de faire passer les groupies de l’autre côté du miroir : Vous avez été les âmes offertes à la divinité pop ; maintenant c’est vous les déesses. Vous avez été les grandes adoratrices, maintenant c’est vous les poétesses. Et, cerise sur le gâteau, ce seront les musiciens que vous admirez qui vous accompagneront comme des chevaliers servants. Nicky Hopkins et Jeff Beck se retrouvent donc à jouer sur les comptines bizarres de ces non-chanteuses de génie. Dans Permanent Damage, il y a un peu de tout : des conversations téléphoniques, des monologues, des anecdotes, des poèmes…
Mais il y a surtout trois chansons extraordinaires, parmi les plus originales et les plus belles que je connaisse : « The Eureka Springs Garbage Lady », une ode à une clocharde, tendre et effrayante comme une musique de film d’horreur ; « Do Me Once and I’ll Be Sad, Do Me Twice and I’ll Know Better », une sorte de power-folk joyeuse et mélancolique à mourir, toutes deux chantées à l’unisson par l’ensemble des filles ; et enfin « I’m in Love with the Ooo-Ooo Man », valeureuse déclaration d’amour de Miss Pamela à Nick St. Nicholas de Steppenwolf. C’est à la fois inventif et fragile, spontané et harmonieux ; plein de ruptures et de reprises de thèmes. Ecoutez-les une fois, vous ne les oublierez jamais.
Pourquoi les GTO’s ne firent qu’un seul album ? Parce qu’elles ne se mirent jamais à l’écriture du deuxième. Certaines étaient amoureuses, d’autres étaient paresseuses, aucune n’était prête. A la grande déception de Zappa. Et à la mienne aussi, quarante-cinq ans plus tard… Je donne toutes les albums des girls bands lourds et médiocres des années 90 (All Saints, Spice Girls, etc.) pour une seule chanson des GTO’s."
Pacôme Thiellement.
Pacôme Thiellement est essayiste, romancier, cinéaste et rock-critic pénitent. Il a écrit sur des sujets aussi divers que les Residents, la mort de Paul McCartney, Lost, René Guénon, le Professeur Choron, Secret Chiefs 3, Matt Konture, Nerval, Led Zeppelin, David Lynch, l'Hagakure, Sohrawardi, Thomas Pynchon ou le Président Schreber. Ses deux derniers livres parus sont Pop Yoga, un recueil d'articles et d'essais, et Les Cinq Livres du King, un feuilleton littéraire illustré sur Elvis Presley, Jacques Chirac et les Muppets. Il travaille également avec Thomas Bertay à la réalisation de Rituel de décapitation du Pape, un essai cinématographique sur Frank Zappa.
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