Il y a deux ans, lorsque le label Opal Tapes portait encore bien son nom et publiait des cassettes (depuis, il réédite la plupart de ses sorties en maxi et a fondé sa sous-division dédiée aux vinyles, Black Opal- le prix à payer quand on a du succès), Patricia réalisait Body Issues, long format porté par de sublimes nappes de synthés et de claps liquéfiants.
Le format cassette prenait alors tout son sens et se justifiait pleinement artistiquement: s'appuyant sur une esthétique de la fugue et déployant des trésors d'inventivité cachés (dans le mix, dans les textures sonores, dans le hiss continu), l'album se caractérisait par des montées de sèves rentrées et prenait des atours particulièrement charnels, aidés en cela par de superbes pas de côté languissants ("Josephine", sommet doux-amer et lascif). On avait alors rarement entendu une techno froide aussi sensuelle, et la production (dénudée, au plus près des corps) appuyait encore un peu plus cette idée de dualité affective, entre les tourments et l'abandon, l'ambient et l'acid. Fort de ce succès manifeste, Stephen Bishop (boss du label et chef de projet Basic House) décida donc de s'atteler à la tâche Black Opal (dont la réédition de Body Issues en 2013 constituait la première sortie), et c'est alors que les choses se corsèrent un peu. Non pas pour le label, responsable notamment des incartades hard tech bienvenues de Xosar, mais plutôt pour Patricia.
Délocalisé de Chicago à Brooklyn, Max Ravitz dans le civil a depuis lors fait dans les brouillages de pistes, géographiques comme genrés. Depuis la sortie de Body Issues, le type a multiplié les collaborations (avec Matt Morandi de Jahiliyya Fields ou Gareth Smyth de Lumigraph notamment) témoignant de son goût pour les dérapages contrôlés (en sortant des disques sur L.I.E.S ou Russian Torrent Versions, on a déjà vu transfuge plus traître). Point d'orgue de ce changement de climat: l'EP Side Piece, sorti l'année dernière sur le label Spectral Sound. Porté par un titre comme "Foie Gras", le disque semblait comme débarrassé des langueurs (et donc du pouvoir de fascination) passées. Il n'y avait qu'à voir Max Ravitz au Café de la Pêche à Montreuil, aux côtés notamment de Wanda Group et Karen Gwyer: rangé des voitures (et des couches capiteuses), son set s'appuyait avant tout sur la répétition d'un même kick, identifiable entre tous mais un peu limité sur la durée. Pas déméritant, mais quand même un poil frustrant.
Aujourd'hui, Patricia revient à la maison-mère pour ce nouvel album, deux ans tout pile après avoir entamé les débats sur Opal Tapes. Le propos se fait encore plus dur, plus élusif et plus trouble que sur Body Issues, et met ainsi en lumière les différents strates et tropes entrevus par Max Ravitz depuis son essai majestueux. Le titre lui-même est évocateur, faisant référence au Bem Sex-Role Inventory, test censé mesurer l'androgynie publié en 1974 par des chercheurs de l'université de Stanford (si le cœur vous en dit, vous pouvez toujours l'effectuer par ici). Outre son allégeance retrouvée aux plaisirs voluptueux des nappes, parcimonieusement déployées ça et là, c'est toute une typologie du dissension et de la confusion qui semble se dessiner ici. Mais si elle était limpide et lumineuse par le passé (y compris, paradoxalement, dans la noirceur et les accès de fièvre), la musique de Patricia se fait aujourd'hui beaucoup plus tortueuse et instable (avec des titres comme Life is a Hideous Thing ou Bed of Nails, on peut difficilement faire plus explicite dans le bouillonnement intérieur). On n'a d'ailleurs pas fini d'explorer les contours, coins et recoins conflictuels de Bem Inventory, et rien que pour cette raison il mérite que l'on y jette (au moins) une oreille.
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