A une autre époque un moins compliquée, on aurait sans doute rangé Lumisokea dans la case dubstep. Je vous parle des alentours de 2004 - 2005, quand la musique électronique ne composait pas la moitié de l'actualité de la musique pop et personne ne savait exactement ce que le mot "dubstep" signifiait, pas même les petits pionniers qui étaient en train de faire de cette excentricité formelle tombée du continuum garage anglais la plus importante chose arrivée à la musique dance britannique depuis la jungle. Andrea Taeggi et Koenraad Ecker auraient alors sorti leurs disques sur Skulldisco, Tectonic ou un label basé dans un pays d'Europe de l'Est, ils auraient été perçus comme des extrêmistes de la scène, ils auraient refusé l'appelation "dubstep" en interview et les journalistes, gros tas de gros bêtas qu'ils sont, auraient continué à les cataloguer comme ça (et ça n'aurait pas été si grave).
En 2016, on est plus embêtés pour parler de la musique du duo : il faut absolument aller dans le détail de ses fréquences basses, de ses tintinnabulations et de ses batteries de percussions pour communiquer au lecteur quelque chose de ce qu'elle nous fait et de là où Taeggi et Ecker ont l'air de vouloir en venir.
On peut aussi éplucher le communiqué de presse qui accompagne leur nouveau disque. Pour Transmissions from Revarsavr, leur quatrième album en cinq ans qui paraît quelques mois seulement après le très visqueux Mnemosyne, nos deux sculpteurs de beats se sont inspirés de l'oeuvre méconnue du compositeur soviétique Arseny Avraamov (1886 - 1944), connu pour ses connexions avec l'avant-garde constructiviste et sa Symphonie des sirènes, chef d'oeuvre futuriste réalisé dans le port de Bakou pour le cinquième anniversaire de la Révolution en 1922 avec "des sirènes des usines et des navires de la mer caspienne, deux batteries d'artillerie, sept régiments d'infanterie, des camions, des hydravions, vingt-cinq locomotives à vapeur, des sifflets et des chœurs".
Mais parce qu'ils n'avaient pas sept régiments d'infanterie et vingt-cinq locomotives à vapeur sous la main, Lumisokea ont mis à profit grâce à l'association ReNoise les "machines à bruit" de Vladimir Popov (1889-1968), cousines des intonarumori du Futuriste italien Luigi Russolo conçues pour le théâtre puis réutilisées par les premiers cinéastes soviétiques pour imiter la pluie qui tombe, les bruits d’usine ou les champs de bataille. Autant dire que le mot "industriel" n'est pas usurpé pour qualifier ces sept rêveries pour boucan et percussions, et qu'on est presque surpris de hocher la tête sur ses machineries même dans ses moments les plus inquiétants.
Transmissions from Reversavr sort ce vendredi sur Opal Tapes en LP épais.
Crédit photos : Aleksander Stamatovski
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