"Le chaînon manquant entre Arne Nordheim et Mayhem". Si vous êtes un mélomane un tant soi peu représentatif des années 2010 (et comme vous êtes en train de lire The Drone, il y a de grandes chances que vous le soyez), vous avez écouté à peu près autant de musique électronique des années 60 que de black metal depuis qu'Internet est arrivé dans votre vie et les deux noms de la phrase ci-avant, extraite des liner notes riches en dythirambes signées du harsh noiser Lasse Marhaug de cette réédition du projet le plus culte de l'artisan noise Lars Pedersen, vous sont tous les deux familiers. Arne Nordheim d'abord, est un pionnier de l'avant-garde musicale norvégienne, auteur de symphonies radicales, de concerti trous noirs et (surtout) de quelques oeuvres phares de la musique concrète européenne; Mayhem, ensuite, est le groupe de black metal le plus légendaire, le plus maudit et le plus notoirement drastique du séminal Black Circle norvégien. Ainsi, il n'est pas impossible qu'un groupe qui fait effectivement le lien entre les deux puisse constituer la plus belle découverte musicale de la semaine en court.
Mais resituons l'objet pour justifier cette belle sentence: Lars Pedersen avait déjà une longue carrière dans le rétro quand il a publié The Black Death, que ce soit avec le groupe new-wave / post baroque Holy Toy ou avec son projet solo When, sorte de cousin norvégien de Nurse with Wound ou Coil dont le territoire musical va de la pop synthétique jusqu'au rock psychédélique en passant par le collage, la musique concrète ou le post-indus le plus famélique. Enregistré pendant l'été 1992, soit au moment même où la bande de gamins en orbite autour d'Øystein Aarseth de Mayhem et de la boutique de disques Helvete brûlait sa première église en bois, le très réputé (quelqu'un a dit "culte"?) The Black Death ne s'apparente en rien à du black metal par la forme mais semble émergé du même creuset onirique d'où ont surgi les premiers grands groupes du genre, les Mayhem, Abruptum, Burzum, Emperor et Darkthrone, et a d'ailleurs servi de disque de chevet à un nombre incalculable d'entre eux.
Plus précisément, le cycle de dessins dont il s'inspire a servi d'illustrations à un nombre étonnant de disques de black metal et des sous-genres qui s'en sont inspiré, de Burzum (Hvis Lyset Tar Oss, Filosofem, Svarte Dauen bien sûr) jusqu'à Mondkopf: le fameux Svartedauen de Theodor Kittelsen, bible de l'imaginaire visuel scandinave achevée à l'orée du XXème siècle qu'on pourrait situer entre les Peintures noires de Goya, le Jardin des délices de Bosch et les visions infernales de William Blake et dont les visions s'inspirent directement de la Peste noire qui décima presque la moitié de la population européenne et les deux tiers de la population norvégienne entre 1349 et 1355.
Pedersen à son tour s'est fixé comme pari un peu fou de mettre en musique précisément, scrupuleusement chacun des dessins de ce singulier monument national avec tous les moyens qu'il avait à sa disposition: enregistrements concrets, musique traditionnelle norvégienne, polyphonies de la Renaissance, carillons, sons électroniques, éreintements de voix tout droit échappées de l'enfer... A mi-chemin de la Divine Comédie de Bayle et Parmegiani (sans la voix de Michel Hermon) et du livre-disque pour adultes avertis, The Black Death offre ainsi aux amateurs de black metal, de dark ambient et des dizaines de dérivés qui co-existent entre les deux un présent inespéré: une exploration dense et méticuleuse de l'angle mort le plus noir de la fin du Moyen-âge, moins les guitares, moins le boucan, moins les codes parfois un peu lourdingues du metal extrême. Ideologic Organ, le beau sous-label des Editions Mego dirigé par Stephen O'Malley de Sunn o))) et co., le réédite ces jours. cliquez ici pour dénicher un peu plus d'infos.
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