Various Artists : Haïti Direct

Qui connaissait bien Haïti avant le seïsme de 2010 ? Qui connaît bien Haïti pour aujourd'hui? De Toussaint l'Ouverture jusqu'à la longue série de dictatures et de bordels en tous genres qu'a connu ce petit pays, c'est pourtant un euphémisme de dire que l'histoire culturelle d'Haïti notamment, avec ses syncrétismes dingos par milliers, a de quoi étancher la curiosité.

Hugo Mendez, boss du label Sofrito, DJ monomaniaque et diggeur fou de musique afro-caribéenne comble en partie nos lacunes d'occidentaux embourgeoisés et sort sur Strut (label d'abord connu pour la première compil Sofrito : Tropical Discothèque) l'anthologie Haïti Direct, recensement non exhaustif du Kompa Direct, qui a connu son âge d'or entre 1960 et 1970.

Le Kompa Direct (konpa ou compas, c'est comme tu préfères), c'est un genre qu'on dit inventé par Nemours Jean-Baptiste avec son orchestre "l'Ensemble Au Calbasse", et Webert Sicot, saxophoniste lui aussi, qui participent à la mutation des grands ensembles haïtiens revus à l'essentiel (moins de musiciens plus faciles à déplacer) et du merengue dominicain. Affranchi des origines vaudou traditionnelles, le genre connait une immédiate popularité dès son apparition au début des années 60.

Hasard de l'histoire, c'est dans ces mêmes temps que François Duvalier accède au pouvoir et transforme ce mouvement populaire et bon enfant en medium de propagande plus ou moins fine pendant toute la période concernée par la compilation. "Papa Doc", aussi "papa" des tontons macoutes, milice SS haïtienne, s'approprie donc le kompa pour vanter les mérites des lignes électriques qu'il fait installer et de l'aéroport international qu'il fait construire. Volontairement léger, le Kompa Direct entretient un rapport étrange et plutôt servile au pouvoir en place en évitant les sujets qui fâchent (en l'occurence les meurtres en série, la dictature de Duvalier est appelée "le règne du sang" dans les livres d'histoire) et en oubliant de gré ou de force les origines campagnardes de la musique jusque là produite et considérée comme endémique à Haïti, à savoir le vaudou, cantonné dorénavant aux-dites campagnes.

Pas d'anormalité donc à ce que vous ayez des envies de mojitos et de costumes blancs à l'écoute des morceaux suivants, puisque l'île restera une colonie espagnole jusqu'en 1697 et est très imprégnée de la culture de sa voisine la République Dominicaine. La méringue haitïenne rappelle à n'en pas douter Cuba, les rythmes africains, les saxos hystériques et les accents latins et créoles en plus, et porte en elle les métissages de l'île ballotée entre les plutôt affreux envahisseurs. La compilation, libérée des poncifs sur le vaudou et ses accents tribaux s'en sort bien, raconte en filigranne et parce qu'on lit entre les lignes de cette légereté presque imposée, une culture, aussi musicale, à laquelle on ne pense à vrai dire jamais. On streame dix morceaux choisis parmis les 27 que compte la compilation. De quoi rattraper votre retard.