Jonathan Fitoussi est né en 1978 et vit à Paris ; à la débauche inutile, il préfère le geste précis. Les perspectives semblent encore plus grandes avec le mantra du less is more. Musique d'architecte, la forme est avec lui minimale et idéale, comme sur son nouvel album, Imaginary Lines, dont la sortie est prévue le 3 novembre sur le label américain Further Records (après ses précédentes incursions discographiques chez les Français Pan European et Versatile). Dans cet entretien sautillant, plus instinctif que véritablement théoricien, il sera question de son nouveau label Further Records, des liens qui l'unissent au GRM, de son travail de compositeur pour le film Le ciel attendra, de sa réaction face à la disparition de Don Buchla et de son rapport à l'art en général, et au choix de Robert Mangold pour illustrer son dernier album Imaginary Lines.
Jonathan Fitoussi : "Mark & Chloé de Further Records m'ont contacté début 2015 pour me proposer de sortir un disque sur leur label à Seattle. Je ne connaissais pas Further Records à ce moment là, mais Mark m'a fait savoir qu'il aimait beaucoup mes précédents disques et qu'il aimerait qu'on travaille ensemble sur un album. La relation a été vraiment simple et agréable, Mark & Chloé travaillent vraiment avec beaucoup de sincérité et une vraie proximité sur leur label et m'ont laissé le champ libre sur mes choix. Ceci a permis entre autres de travailler sur une belle édition limitée en vinyle, d'acheter les droits pour l'utilisation de la peinture de Robert Mangold et de faire le mastering et la gravure dans un très bon studio berlinois."
Ici, six morceaux sur l'harmonie des sphères, le cosmos. On y trouve quelques constellations, comme une trame géométrique : "Orion", "Andromède" et "Cassiopée". C'est silencieux, beau et répétitif. On pense au taoïsme musical de John Cage avec ses Imaginary Landscapes, les Different Trains de Steve Reich, le clavecin sarcastique de Pierre Schaeffer, Luc Ferrrari, mais aussi à l'ambient d'un Brian Eno ; et plus actuellement à William Basinski.
Les boucles fêtent le synthétiseur, la poésie de l'instant, l'amour de la touche. Rétro-futuriste, il dépoussière le passé pour préparer l'avenir. Son travail d'ingénieur du son à l'INA lui fait d'ailleurs préférer les techniques d'enregistrement analogique du GRM. Il citera par ailleurs deux pièces qu'il affectionne particulièrement :
François Bayle : "Toupie dans le Ciel"
Avoir accès aux fondateurs lui permet de défricher et de s'affranchir en faisant de l'illustration sonore un art pour différents médias, mais aussi pour le cinéma, comme pour le récent Le Ciel Attendra :
"Au départ j'ai été contacté pour composer la bande originale du film, le monteur avait déjà intégré une dizaine de mes titres sur le film durant la phase de montage. J'ai donc fait un ou deux essais sur de très courtes séquences mais la réalisatrice Marie Castille Mention Schaar qui aimait beaucoup mon univers préférait mes musiques existantes. L'utilisation de titres temporaires durant le montage peut souvent créer ce phénomène, l'équipe s'habitue à voir le film avec des titres temporaires qui deviennent parfois la musique du film. Finalement il n'y aura pas de musique originale pour Le Ciel Attendra, simplement des musiques existantes, l'important étant l'émotion que pourra véhiculer la musique à l'image - musique existante ou musique originale peu importe. Je suis très heureux de cette collaboration et de pouvoir entendre plusieurs de mes musiques sur ce film au cinéma."
C'est avec cette culture musicale et un amour des machines que Jonathan Fitoussi nous fait changer de dimension. À l'avant-garde de l'industrie musicale, comme Don Buchla (disparu le 14 septembre dernier), qui révolutionna la musique électronique en étant l'un des premiers fabricants de synthétiseurs modulaires dans les années 60, Fitoussi est un créateur d'ambiances :
"Je savais depuis un moment que Don Buchla était très malade, nous avions essayé de le contacter en 2014 pour partager avec lui le disque Five Steps (Versatile Records) composé avec mon ami Clemens Hourrière sur le rare système Buchla 200. Je n'ai malheureusement jamais eu l'occasion de le rencontrer mais je suis sûr que c'était un homme adorable et une de ses amies Suzanne Ciani avec qui nous échangeons de temps en temps me l'a confirmé. Donald Buchla a été un très grand visionnaire pour l'époque et un génie grâce à la création de ses synthétiseurs, qui permettent une création de timbres, de textures et de couleurs vraiment inouïes. Comme beaucoup de grands inventeurs d'instruments, il laissera un héritage musical très important de par ses différents modèles présents de par le monde, grâce aussi à ces compositeurs comme Morton Subotnick ou Suzanne Ciani qui ont collaboré avec lui et ont consacré leurs oeuvres à ses instruments, et grâce à cette nouvelle génération de compositeurs qui travaillent sur des systèmes Buchla et dans laquelle je m'inscris."
Élégance et raffinement jusque dans l'artwork également, qui date de 1973 et est signé par Robert Mangold, autre minimaliste soucieux du détail, qui prône une simplification des formes et des couleurs :
"Je suis très sensible à l'art sous toutes ses formes, que ce soit la danse, le cinéma, l'art plastique... Et j'aime parfois imaginer la musique qui pourrait coller à une peinture lors d'une exposition et vice versa. J'ai eu la chance de pouvoir utiliser des peintures de Josef & Anni Albers sur deux précédents albums, respectivement Pluralis et Dimensions par Model Alpha et pour moi le choix s'est imposé de lui même. Les motifs géométriques mêlés à une certaines irrégularité du travail à la main collaient très bien sur ces projets musicaux, mêlant motifs électroniques répétitifs d'une part et improvisations d'autre part. Pour ce disque, Imaginary Lines, l'idée de départ était vraiment de travailler avec cette notion que les constellations sont une représentation graphique, des lignes imaginaires dessinées par la main de l'homme dans le ciel pour créer une forme et ainsi servir de repère dans l'espace et sur terre. Mark de Further était partant pour l'utilisation d'une peinture, alors j'ai fait 2 - 3 propositions mais cette peinture de Robert Mangold s'imposait d'elle-même pour ce disque. Mangold travaillait comme pas mal de peintres minimalistes sur des séries et sur de simples formes géométriques, qui, mêlées à l'irrégularité de la main humaine, collent parfaitement à mon approche artisanale de compositeur, et à ce disque en particulier."
Le nouvel album de Jonathan Fitoussi, Imaginary Lines, sort le 3 novembre sur le label Further Records. Il est en écoute intégrale ci-dessous :
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