Pour l'album de Brian Eno à venir chez Warp Records, ni snippet ni piste en pré-écoute mais une longue lettre dans laquelle le musicien revient sur la genèse, l'évolution et les excroissances de l'Ambient. Et s'interroge sur l'origine de la "thinking music" : doit-on la faire remonter à Discreet Music (1975), au premier Fripp & Eno (No Pussyfooting) (1973) ou à la première pièce qu'il a créée en 1965 à l'Ipswitch Art School ? On vous laisse découvrir le communiqué in-extenso ci-dessous en vous repassant, justement, Discreet Music.  

Brian Eno - Discreet Music (Discreet Music)

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En tout cas, c’est la musique que j’ai ensuite appelée ‘Ambient’. Je pense que je ne comprends plus ce que ce terme signifie maintenant - il semble avoir gonflé pour accueillir des associés plutôt inattendus - mais je l’utilise encore pour le distinguer des pièces de musique qui ont des durées fixes et des éléments connectés rythmiquement, qui s’entrelacent. 

Dans la lignée de cette pièce on trouve Thursday Afternoon, Neroli (dont le sous-titre est Thinking Music IV) et LUX. J’ai fait beaucoup de “thinking music”, mais j’ai gardé la plupart pour moi. Maintenant je remarque que les gens utilisent certains de ces albums de la même façon que moi - comme des espaces provocateurs de réflexion - donc je suis plus enclin à les rendre publics. 

Des pièces comme celle-ci ont un autre nom : elles sont GÉNÉRATIVES. Par cela, j’entends qu’elles se font elles-mêmes. Mon travail de compositeur est de mettre en place un groupe de sons et de phrases et ensuite des règles qui décident ce qui leur arrive. Ensuite je joue le système entier et regarde ce que ça fait, ajustant les sons et les phrases et les règles jusqu’à ce que j’obtienne quelque chose qui me satisfait. Parce que ces règles sont probabilistes (elles prennent souvent la forme de ‘faire l’opération x, y pourcent du temps’), la pièce se déroule différemment chaque fois qu’elle est activée. Ce que vous avez là est un enregistrement de l’un de ces déroulés. 

Reflection est appelé ainsi parce que je trouve qu’il me permet de me souvenir. Il me fait vraiment réfléchir à des choses. On dirait qu’il crée un espace psychologique qui encourage une conversation interne. Et des extérieures aussi en fait - les gens semblent l’apprécier comme fond pour leurs conversations. Quand je crée une pièce comme celle-ci, je passe la plupart de mon temps à l’écouter pendant de longues périodes - parfois pendant plusieurs jours entiers - en observant ce qu’elle suscite dans des situations différentes, voyant comme elle me fait me sentir. Je fais mes observations et ensuite je modifie légèrement les règles. Puisque tout dans ces pièces est probabiliste et parce que les probabilités s’accumulent, cela peut prendre très longtemps pour avoir une idée de toutes les variations qui peuvent exister dans la pièce. Une des règles pourrait dire “élève une note toutes les 100 notes de 5 demi-tons” et une autre “élève une note toutes les 50 de 7 demi-tons”. Si ces deux instructions opèrent sur la même suite de données, parfois - très rarement - elles s’appliqueront toutes les deux à une même note… donc quelque chose comme une note toutes les 5000 serait élevée de 12 demi-tons. Et tu ne sauras pas laquelle de ces 5000 notes sera concernée. Puisqu’il y a beaucoup d’opérations de ce genre qui fonctionnent ensemble, sur des flux de données différents mais parallèles, le résultat final est un réseaux complexe et imprédictible. 

Peut-être qu’on peut diviser les artistes en deux catégories : fermiers et cowboys. Les fermiers s’installent sur un lopin de terre et la cultive soigneusement, lui trouvant de plus en plus de valeur. Les cowboys cherchent de nouveaux endroits et sont enthousiasmés par le pur fait de découvrir et la liberté d’être quelque part que peu de personnes ont vu auparavant. Avant je pensais que j’étais psychologiquement plus cowboy que fermier… mais le fait que la série à laquelle cette pièce appartient dure maintenant depuis plus de 4 décennies m’a fait penser qu’il y a un peu du fermier en moi."