Le matin du 11 septembre 2001 à New-York, William Basinski termine ses Disintegration Loops lorsqu'il voit de sa fenêtre les deux tours du World Trade Center s'effondrer l'une après l'autre. Il s'empare alors de sa caméra et filme la scène, laquelle contribuera ironiquement à lancer la carrière du compositeur ambient, alors même qu'il a commencé ses recherches musicales à partir de loops et de cassettes de magnétophones à la fin des années 70 et qu'il n'est déjà plus à ce moment-là un bleuet de la scène artistique et expérimentale downtown new-yorkaise. Depuis, on ramène constamment le travail de William Basinski à cet épisode tragique de l'Histoire américaine, ce qui est à la fois un peu réducteur et assez juste.
Réducteur, parce que son travail remonte aux efforts analogues de Brian Eno et de Steve Reich et qu'il a fait partie dans les années 70 d'une scène loft new-yorkaise aux côtés de Rhys Chatham, Michael Gira ou encore Phill Niblock. Mais contrairement à ses contemporains, son succès n'arriva que bien plus tard, à la faveur d'un funeste matin de septembre 2001 et d'un coup du sort pour le moins tragique et ironique. Ironique, car le matériel utilisé pour l'enregistrement des Disintegration Loops date à l'origine de 1982 ; lorsqu'il découvre que ses bandes sont détruites par le monoxyde de carbone et qu'elles se décomposent lorsqu'il les joue, Basinski décide alors d'œuvrer à partir de cette même décomposition, son travail s'articulant alors autour du caractère éphémère de son propre support. Un geste à rapprocher du cinéma expérimental de Bill Morrison et de son film Decasia, recueil de found footage sorti en 2002 et traitant quant à lui de la décomposition de la pellicule - et dont la bande-son a d'ailleurs été assurée par un autre New-Yorkais, Michael Gordon.
Juste, parce qu'une grande partie du travail de William Basinski réside justement dans la répétition filandreuse de ses propres propositions. La vidéo filmée pour The Disintegration Loops montre les deux tours du World Trade Center s'effondrer, et la bande-sonore en devient alors une sorte d'élégie involontaire et somptueuse. Le geste est bien trop fascinant pour ne pas être souligné et ramené constamment à son auteur : il dit en tout cas énormément du travail de perte et de deuil qui parcourt toute l'œuvre de William Basinski, lequel, s'il ne veut plus entendre parler depuis du 11 septembre, ne pourrait nier son caractère funèbre et fuyant. Son concert au dernier festival Sonic Protest en avril dernier à l'Eglise St Merri à Paris avait d'ailleurs quelque chose d'à la fois lugubre et de majestueux : entouré de nefs imposantes, habillé d'un costume phosphorescent, Basinski donnait à sa performance un aspect solennel, comme désencré d'un quelconque repère spatial et temporel.
Il y présentait des pièces de son nouvel album, A Shadow In Time, sorti la semaine dernière sur le label Temporary Residence Limited. Hommage à David Bowie, disparu en début d'année dernière, le disque se divise en deux parties et est à la fois d'une limpidité et d'un macabre assez inédits par leur ampleur dans l'œuvre de Basinski. Sur cet album, qu'on peut écouter ci-dessous, le compositeur y travaille en fait encore et toujours le même motif qui donne de l'éclat à la douleur, qui étire le temps pour le rendre impérissable et l'empêcher enfin de se défiler.
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