© Estate Max Neuhaus. Courtesy Butler Library, Columbia University.
Les gestes radicaux de John Cage ont toujours une forte résonance sur la musique et la création contemporaines. Pourtant, si jamais il nous viendrait à l'idée de questionner la puissance et la pertinence du compositeur américain, la réflexion induite par ses recherches est souvent restée cloisonnée dans un milieu restreint, loin d'être à la portée intellectuelle et conceptuelle de tout un chacun - bien que la réception de son travail se soit progressivement démocratisée au fil des années et que ses clés aient été distribuées un peu plus équitablement récemment. Pour résumer cela, on pourrait dire que la visée de la démarche de Cage, comme celle de la musique expérimentale et de l'avant-garde en général de ces cinquante dernières années (plus?) pêche par une certaine déconnection du public, et un caractère un peu trop sélectif et élitiste.
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C'est justement cet état de fait qui poussa un de ses disciples, Max Neuhaus, à quitter le champ de la musique expérimentale à l'aube des années 60 pour se lancer dans une réflexion sur le son qui dépassait le carcan de l'institution et qui explosa les cadres de la musique contemporaine et de ses expérimentations. Considéré comme le père de l'installation sonore, il marqua les esprits avec une série d'œuvres et de recherches iconoclastes (il prônait la sortie de l'institution) qui questionnait autant l'impact physique du son sur l'organisme et le cerveau humain que la place que pouvait prendre l'Art (au sens large) dans notre quotidien. C'est ce parcours unique et foisonnant d'oeuvres (dont un bon nombre n'ont jamais abouti) que présente le FRAC Franche Comté par l'entremise de Daniel Balit son commissaire d'exposition, sous le titre MAX FEED.
Max Neuhaus en phase de test dans le couloir de correspondance Montparnasse-Bienvenüe, env. 1983 Courtesy Estate Max Neuhaus, crédit photo : © Florian Kleinefenn
Principale contrainte à résoudre pour le musée : comment présenter des œuvres qui ne se voient pas ?
Max Neuhaus concevait le placement du son dans l'espace à la manière des artistes du land art et donc il est assez passionnant de pouvoir se pencher sur les dessins réalisés par l'artiste en préparation de ses installations sonores. Ceux ci sont de deux types : d'un côté des dessins préparatoires utilisés pour présenter la topographie des œuvres avant de les réaliser, de l'autre côté, des diptyques, prenant un statut d'oeuvres d'art qui véhiculent l'idée de chaque installation sonore a posteriori et qui constitue la mémoire de l'oeuvre éphémère, en quelque sorte. Ceux ci sont particulièrement intéressants car ils donnent "à voir" le son, d'une manière unique.
© dessins 1 & 2 : droits réservés/Cnap/ Photographe : Yves Chenot
ll serait difficile de rendre compte ici de tout le corpus du travail de l'artiste américain représenté par cette rétrospective (qu'on ne peut que vous engager à aller voir si ce n'est pas trop tard). Ces œuvres ne sont jamais aussi fortes et impressionnantes que quand elles interrogent le rapport que nous entretenons avec le son au quotidien. On appréciera particulièrement le réveil silencieux mis au point par Neuhaus (un clin d'oeil à son ancien maître), celui ci trouvant trop agressive les sonneries des réveils matins usuels ou sa mise au point d'une sirène de police, percussive et qui par un savant travail de fréquence prévenait sans heurts les citadins de l'arrivée des autorités, annonçant ainsi tout le travail sur le son spatialisé et le binaural qui fait les choux gras des geeks de son actuellement (nous les premiers).
© Konrad Fisher Galerie
Convié à renouer avec son activité de musicien, Neuhaus au début des années 1970 détourne les présupposés de la musique live et pousse ceux qui s'intéressent à son travail à quitter la salle de concert pour investir des espaces pas encore explorés. C'est la force de la série "Water Whistles" qui invitait les étudiants des universités américaines à venir écouter une seule note, immergés dans une piscine toute une nuit, en jetant ainsi un lien inédit entre musique sériel, musique de transe et le minimalisme de ses contemporains d'alors.
© Estate Max Neuhaus
Et il n'est pas exagéré de parler ici de transe tant Neuhaus réussit par une approche scientifique du son et de l'impact de ses fréquences à convoquer un rapport presque magique entre le son et le corps humain. C'est ce qui le poussa en fin de carrière, lassé des sons synthétiques, à se pencher sur le potentiel des éléments naturels, cours d'eau ou épines de pins avec des œuvres comme celle de Kerguehennec.
Son œuvre la plus connue, "LISTEN", dont le 50ème anniversaire est le prétexte à cette exposition et aussi une des plus fortes symboliquement. En tamponnant cet ordre "Ecoute" sur les mains des passants à New York, il les encouragea à écouter et tenter de distinguer les bruits qui les entouraient, persuadé qu'il était que la pollution sonore de la ville n'était que le résultat de la confusion ambiante et d'un manque d'attention des citadins à leur environnement. Cette réflexion pose les bases de toutes les recherches sur le design sonore mais aussi par son caractère participatif fait renouer l'Art avec le public, sort du caractère contraint du musée et donne les clés de l'oeuvre au spectateur pour qu'il en fasse ce qu'il veut.
© Estate Max Neuhaus
On saluera ici la bonne idée du commissaire qui plutôt que de tenter de re-créer maladroitement les impressionnantes recherches de Neuhaus à inviter de jeunes artistes à créer des œuvres sonores in situ en correspondance avec le travail du chercheur. C'est Seth Cluett et ses deux œuvres aperture is flexible in media res et aperture is distortion qui sont les plus parlantes, partant comme pour le travail de Neuhaus d'une exploration du bâtiment et jouant sur des effets de trompe l'oeil et de distortion de la réalité aussi ludique que déroutantes. L'intervention de ces jeunes artistes pose subtilement la question de la postérité de l'oeuvre de Neuhaus. Cela rentre dans le champ d'activités du FRAC Franche Comté qui s'est donné comme mission de réfléchir sur le rapport de l'Art contemporain au temps et qui enrichit peu à peu ses archives sonores et musicales en concertation avec le Conservatoire de Besançon, voisin, compilant les travaux de Joelle Leandre commes les archives de la no-wave new yorkaise. Touché!
Toutes les informations sur l'exposition sont disponibles sur le site de la FRAC Franche Comté.
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