Si vous avez vu Buffalo 66 vous savez que Buffalo n'est pas le quartier le plus attrayant, riche ou culturellement ambitieux de la mégalopole new-yorkaise. C'est pourtant là qu'est mort le 28 mai 1990 le compositeur visionnaire Julius Eastman à l'âge de 49 ans, après de longues années d'errance.
Né en 1940 à Ithaca, le jeune Eastman commence à étudier le piano et la compostion classique à l'âge de 14 ans, d'abord au Ithaca College puis au Curtis Institute of Music de Philadelphie. Tout commence bien. Repéré en 1973 par le compositeur et chef d'orchestre Lukas Foss il se fait une place dans le milieu de la musique avant-gardiste et fait partie des membres fondateurs du S.E.M Ensemble, encore actif aujourd'hui.
Mais parallèlelement à ce qui pourrait prendre le tour d'une brillante et tranquille carrière de compositeur et d'universitaire, Eastman commence à mordre la ligne. D'abord en composant Stay On It, une des premières pièces de musique savante à s'inspirer de la construction de la musique pop, préfigurant ce que seront quelques années plus tard les travaux d'Arthur Russell et de Rhys Chatham. Ensuite en faisant de son homosexualité et de sa couleur une des bases de son travail et de sa réflexion. Enfin, plus concrètement, en donnant une représentation live homo-érotique d'une pièce orchestrale de John Cage, devant le compositeur en personne. Cage s'offusque du traitement résérvé à son travail, le scandale qui s'ensuit dépasse Eastman et il perd sa charge de prof à l'université de Buffalo.
Dans le courant des annés 80, découragé par les difficultés posées par ce qu'il perçoit comme un rejet inéluctable de la part du monde académique, Eastman s'enfonce de plus en plus dans l'alcool et la dépression. Il meurt d'un arrêt cardiaque au printemps 90, après une tentative infructueuse de come-back. S'il n'a pas connu un retour en grâce posthume aussi fulgurant que celui de Russell c'est aussi parce qu'une bonne part de ses travaux s'est perdue lorsqu'il s'est fait viré sans ménagement de son appartemment de Manhattan au milieu des années 80.
Femenine, ressorti ces jours-ci par le label finlandais Frozen Reeds est l'un des rares enregistrements vendus et commercialisés à ce jour portant le nom d'Eastman. Il s'agit d'une pièce de 1974, captée en live au Composers Forum à Albany dans l'état de New-York, musicalement à mi-chemin entre la facture "classique" de Stay on It et l'expérimentation totale de Gay Guerilla et Crazy Nigger. Une parfaite introduction à la musique et à l'esprit torturé du compositeur new-yorkais.
Vous pouvez vous procurer Femenine sur le site de Frozen Reeds.
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