La semaine dernière, alors que l'on était occupé à nos petites affaires, on est tombé sur un texte publié dans un quotidien-à-grande-échelle qui n'a pas manqué de nous faire un peu sortir de nos gonds.
"Puisque tout est fini, alors tout est permis", c’est le titre empreint d’un situationnisme de pacotille qu’a choisi le collectif Catastrophe pour sa tribune parue le 22 septembre dans Libération. Le collectif Catastrophe, en fait, c’est avant tout un groupe de musique qui a sorti un EP en juillet dernier sur Tricatel (on y revient) et qui a attaqué bien fort la promo de rentrée (littéraire ? musicale ? on ne sait plus) en se fendant d’un texte aux allures de manifeste générationnel. Si l'on se permet de lever un peu les boucliers aujourd'hui, c’est parce qu’on estime s’être pris dans la face (c’est un peu de notre faute au vu du temps qu’on passe à traîner sur les réseaux sociaux) l’une des entreprises promotionnelles les plus gênantes et intrusives depuis le jour où, dans un autre style, tout le monde s’est retrouvé avec le dernier album de U2 dans son Iphone.
On vous parlait il y a peu, en traitant du nouvel album de La Femme, de cette pente préoccupante que semblait emprunter une certaine partie de la scène musicale française depuis maintenant un bout de temps. Le terme d'ironie était d'ailleurs peut-être un peu mal choisi. Ce que l'on a surtout voulu mettre en exergue, c'est une certaine forme de distanciation, alliée à une esthétique du bon goût et une désinvolture de bon aloi, qui ne frappe nulle part, ne fait mal à personne et tente de mettre mollement tout le monde d'accord. C'est exactement de cela dont il s'agit lorsqu'on parle de Catastrophe. Nous ne ferons pas l'affront de définir à qui la tribune s'adresse précisément, mais disons que par certains aspects, ses traits fédérateurs permettent de draguer un certain public friand des idées nouvelles qui n’en sont pas et qui ne pige pas grand chose à la musique. Fauve, Jacques (les pires), Chassol qui harmonise un discours d’Obama ou le Sébastien Tellier de "l’Alliance bleue" sont autant de preuves qu’un diktat du pseudo-concept préfabriqué accompagnant inlassablement la sortie d’un disque ou l’émergence d’un artiste ronge bien la pop française depuis que celle-ci a été philippe-katerinisée. Mais si la bizarrerie de Katerine masquait (et continue de masquer, même si ses coutures se font de plus en plus effacées) une réelle désespérance, le second degré, la distanciation caricaturale et la philosophie de comptoir de ses émules plus ou moins volontaires font plus office de cache-misère qu'autre chose. Et on parle ici de misère artistique, pas de misère sociale ou sexuelle - là encore, on y revient.
Avec "Puisque tout est fini, alors tout est permis", les membres de Catastrophe, puisque c’est d’eux qu’il s’agit ici, ont donc réussi le coup très habile de s’octroyer la toujours très partagée (et ça n’a pas manqué) rubrique "Tribune" du site de Libé pour nous montrer qu'en 7000 signes, en plus de valider l’amer constat fait plus haut sur l’état d’un certain milieu musical français, ils ne semblaient pas prêts d’apporter le début d’un embryon d’idée nouvelle pour une jeunesse nouvelle comme ils semblent pourtant en avoir l’ambition. Bien que l’on ne demande pas à de jeunes gens qui n’ont même pas la trentaine et qui sortent de la fac d’inventer une nouvelle philosophie de l’action, et plus largement, bien que l’on n’attende absolument rien de Catastrophe, on a tout de même été frappé par l'inanité et l'absence d’imagination qui parcourent ce texte aux oripeaux révolutionnaires mais au contenu cruellement conformiste - à croire que le punk ou Raoul Vaneigem (le groupe avoue plus volontiers s’être éveillé à Finkielkraut ou Marcel Gauchet) ne sont jamais passés par là. À ce titre, il faut signaler l'hypocrisie certaine du papier, qui sous couvert d'inclusivité et de velléités de soulèvement (populaire ? générationnel ? On n'a pas encore vraiment compris à qui s'adressait la tribune, ni de quel "on" parlait-on - pas de nous en tout cas), ne fait que reproduire les mêmes schémas exclusifs qu'il entend dénoncer. À savoir le processus d'acceptation et d'abdication d'une classe à une autre : énième topo sur la fin de l’histoire et des idéologies, critique convenue de l’impasse postmoderne et évocation du Do It Yourself comme une lointaine idée exotique plutôt que comme une réalité tangible sont ainsi mis sur le tapis sans que ça ne gêne personne.
Mais ce qui frappe surtout, c'est l'extrême outrecuidance d'un collectif dont le fantasme de romantisme ne fait en définitive que le détacher d'une réalité sociale et économique - dont on doute que ses membres connaissent l'urgence ou la détresse, sinon ils ne se permettraient sans doute jamais d'écrire des aberrations misérabilistes aussi risibles que : "S’il faut manger des pâtes, nous les mangeons sans rechigner. S’il faut sacrifier les vacances, nous l’acceptons. Nous échangeons nos vêtements, nos logements, nos idées." Outre la forme, entre une fulgurance poétique qui vise sans doute un absolu rimbaldien mais qui tombe en plein Fauve (et ouais, toujours eux) et la charge politique au fond du jardin d'un Francis Cabrel, et la destination du texte, dont on devine en filigrane qu'il s'adresse avant tout à un tout, tout petit microcosme (ou fait cas - ce qui est bien pire - d'un narcissisme qui n'a pas grand chose à faire là), se dessine en creux un délire obscène fait d'autopromotion éhontée et d'appropriation d'une véritable misère sociale qui dépasse quant à elle la soudaine découverte du RSA. Et désolé de monter sur nos grands chevaux, mais on trouve le procédé assez dégueulasse.
Sur le plan musical ensuite, puisqu’il faut bien en parler, Catastrophe ressemble à sa tribune et on ne lui fera pas le procès de l’incohérence. On entend, dans "Le Message" et "Party in my Pussy", les deux singles mis en images, un mélange peu engageant de Steely Dan, de Air, de Queen et d’Electric Light Orchestra joué avec des instruments MIDI et habillant des paroles maladroitement candides ou mystico-psychédéliques en forme de slogans mal déclamés. Écouter Catastrophe, c’est enfin se demander une fois de plus ce qu’a bien pu devenir Tricatel, entre le temps où son boss Bertrand Burgalat pouvait légitimement revendiquer le quasi-monopole du bon goût dans le domaine de la pop music maudite et l’ère de survie digitale et mondaine dans laquelle il semble avoir plongé son label depuis quelques années en tapant trop souvent à côté de la plaque - bon allez, Jef Barbara, c'était quand même pas mal.
Enfin, on n’est pas sûr que le fait de trianguler Houellebecq, Muray et Beigbeder ne fasse autre chose que de cartographier encore et toujours la même caste intellectuelle, culturelle et sociale pourtant mise à distance par le collectif, ni que de vendre sa petite salade electro pop en se fendant d’un manifeste mi mortifère, mi coucou les nuages, ne permette de circonscrire quelque jeunesse que ce soit. C’est gentil, vraiment, mais on ne vous avait vraiment rien demandé.
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