Puisque je ne suis pas là (que) pour me faire des amis, autant l’écrire en toute clarté : je n’ai jamais compris les spécialistes de la musique de film, qui sont non seulement, pour ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer, des geeks du genre le plus obtus, mais ont surtout, me semble-t-il, un rapport biaisé à la réalité des medias qui les obsèdent. Séparées de leur contexte filmique, les bandes originales paraissent trop souvent vainement illustratives et narratives (les contre-exemples sont aussi connus que très minoritaires), moins aptes à déclencher nos propres images qu’à désigner le manque de celles qu’elles sont censées magnifier. Même un gars sûr comme Daniel Lopatin n’échappe pas à la règle, et même le fait de savoir que son score joue un rôle majeur dans le nouveau film des frères Safdie – qui lui doit au moins 50% de sa tension, sans laquelle il ne serait qu’un petit machin new-yorkais branché de plus – n’empêche pas de baîller en traversant avec ses seules oreilles cette suite de montées et de descentes "mentales", pensées comme les flux et reflux d’un organisme vivant - une idée somme toute classique de la cinégénie – et s’achevant sur une ballade futuriste, mélodiquement faiblarde mais joliment texturée (rien à dire sur la qualité du sound design), chantée par Iggy Pop qui sort pour l’occasion son fameux phrasé de crooner-saurien. J’ajouterais tout de même, par soucis d’honnêteté, que Lopatin a amplement mérité son Soundtrack Award au festival de Cannes – et que ce n’est pas un hasard non plus si les Safdie sont repartis les mains vides.


Michaël Patin

De Oneohtrix Point Never, je garde deux souvenirs qui résument plutôt bien le parcours de Daniel Lopatin. En 2011, Un bro bon enfant, défoncé à la weed qui avait improvisé à l'aide de son synthé sur une video IMAX de volcan (Villette Sonique à la Géode). En 2016, un musicien sérieux à l'image ultra contrôlée en live au Trabendo au milieu d'un fatras d'images et de sons. Durant ces cinq années, le geek de Brooklyn a pris une place : celle du musicien expérimental mais pas trop, capable de conquérir autant les lecteurs de The Wire que les fans de Mr Robot. L'étape suivante était, forcément, la BO de film. J'avoue être beaucoup plus sensible à sa première époque (et oui "c'était mieux quand c'était pas connu"), celle des plages ambient composées sur un Juno 60 qu'à celle des morceaux composés au MIT et tentant de faire le pont entre Reich et Autechre (si j'ai bien compris). La bonne surprise de cette bande originale c'est qu'elle convoque les émotions des débuts : les solos de guitares au synthés, les montées épiques et les climats 80's (on se rappelle du projet Ford & Lopatin et sa synth pop sucrée). Les mauvaises langues entendront quelques gimmicks "drivesques" dans les passages italos, mais personnellement j'y trouve largement mon compte.


Adrien Durand

Le matin, j'écoute France Inter. Et ce matin, l'invité du toujours très enthousiaste Augustin Trapenard était le monstre sacré de la bande-dessinée britannique Alan Moore, venu parler de son nouveau roman-monde de 1300 pages, Jérusalem. Avant d'évoquer son roman, avant même de partir dans son habituel "je ne vois jamais les films adaptés de mes scénarios parce qu'ils sont forcément ratés", l'auteur a passé 3 bonnes minutes à déplorer la tendance actuelle de la pop-culture dans son ensemble à ne jamais chercher à créer, mais à continuellement remâcher, juxtaposer, repenser, déconstruire, citer, critiquer, vous avez l'idée. Eh bien il faudrait sans doute organiser une projection commentée par Alan Moore de Good Time, film dont l'imagerie et la narration s'inspire beaucoup du grand cinéma névrotique new-yorkais des années 70, habillée par une bande-son qui mêle - comme à l'habitude de Oneohtrix Point Never - drone angoissée, clin d'yeux pop 80's et proto-italo, le tout donnant un effet "retro out of time" comme le note justement Pitchfork. Alors ok, la rétromanie à clin d'yeux appuyés est un mal qui ronge quasiment toute la production musicale (et cinématographique, tant qu'on y est) d'aujourd'hui mais à ce niveau-là on passe très près de l'indigestion, et on se demanderait presque si ce n'est pas juste un moyen de camoufler un manque d'idée. 


Arthur Cemeli

Oneohtrix Point Never - The Pure and the Damned (ft. Iggy Pop)

04:30