Pour faire simple, Finding Shore, crée une méthode de création presque scientifique dans le but d'obtenir un résultat beau et humain. Je connais un peu plus Eno depuis très récemment, étant resté étonnamment éloigné de sa musique (dans tous les sens du terme). A ce que j'ai compris, le type aime bien créer des processus de travail. Ici on prend un mec (Tom Togerson) qui pianote avec une virtuosité certaine, assurément de la sensibilité, et un vieux rat de laboratoire tout aussi génial (Brian Eno donc). On les met dans une même pièce. L'un faisant librement acte de ses émotions des heures durant sur son instrument, l'autre élaborant des stratagèmes lui permettant de capter ce que joue l'autre pour balancer tout ça dans d'autres machines. Vous n'avez pas tout compris? Ce n'est pas très grave car ça marche bien. 


Le résultat de cet amas complexe d'improvisations et de bidouilles techniques et électroniques est d'une grande beauté. On ressent vraiment cet album comme étant une collaboration. Tom Rogerson est le pilier de cet album, tout part de ce que lui-même crée: le piano est central. Eno module ce piano en en transformant le son, faisant des boucles, cherchant à évoquer des sons familiers (des oiseaux, des bruits marins, le vent...) et renoue avec l'atmosphère de Another Green World: une teinte floue et vivante.

Car il y a énormément de vie dans Finding Shore et beaucoup de sentiments évoqués pour ne pas dire illustrés tant le traitement des sons provoque un ressenti physique, presque des souvenirs de ressentis. 


Bien sûr, il faut accepter de se lancer à corps perdu dans ces pièces afin d'en dévoiler toute la profondeur. L'exercice d'improviser encore et encore et d'en faire un disque peut sembler très superficiel, le résultat peut même être parfois bien merdique (on connaît tous des albums de jams fun uniquement pour ceux qui les ont joué), ici ce n'est pas le cas du tout. On vit ce que Tom Rogerson raconte et Brian Eno aide son pote à parler. Finding Shore, c'est oui.


Maxime Dobosz



La première analogie que j'ai eu en tête en écoutant ce disque c'est le hip hop contemporain. Tom Rogerson étant le beatmaker, le gars de l'ombre qui crée la matière de base et Eno le MC un peu barré qui amène une âme, une profondeur et un truc personnel au tout. Attention cependant, ce Finding Shore n'a pas grand chose à voir avec Young Thug mais beaucoup plus avec cette nouvelle vague de pianistes qui dragouillent la grande musique tout en faisant des clins plus ou moins subtiles à l'electronica. 


Eno, qu'on a vu aux manettes de Coldplay comme derrière la crème de l'avant garde, vient-il valider par sa présence toute cette nouvelle génération (de Nils Frahm à Max Richter) qui donne à entendre une version pop de la musique contemporaine? Oui et non (ce serait trop simple sinon). Personnellement assez horripilé par cette nouvelle scène (qui a dit mode?) de morceaux au piano qui évoquent plus les salons de thé sans gluten que la radicalité de Reich, j'ai davantage trouvé mon compte ici dans les passages synthétiques et un peu bancals ("March Chorus") que dans  les pièces très passe partout voire franchement mièvres ("An Iken Loop").  


On a pu voir Eno et ses collaborateurs passés (Jon Hassell, Harold Budd) atteindre des sommets dans une approche inventive de l'ambient qui a contribué à en définir les contours : une musique qui crée des sensations physiques et induit des sentiments par une certaine science des textures qui prend le pas sur une approche mélodique. Ici notre chauve préféré (désolé Moby), tombe dans le piège du "hook" (pour revenir à ma première idée) et se prend souvent les pédales dans l'écriture épique de son jeune padawan. Mi-figue mi-raisin pour moi donc. Cependant si vous n'avez pas peur des plats trop gras et des desserts trop sucrés, allez-y sans ciller. 


Adrien Durand