À 51 ans, Björk se demande ce qu'elle peut encore fabriquer. Et la réponse est là, évidente : un album Tinder (c'est elle qui le dit) pour vieux elfes sur le retour (là, c'est moi). Alors elle a été choper le Vénézuélien Alejandro Ghersi, alias Arca, autre pompier notoire avec lequel elle a déjà collaboré sur son précédent long-format et a rêvé d'un monde paradisiaque, débarrassé des hommes et du patriarcat. Ce qui donne Utopia, album-somme de 70 minutes, le plus long de la carrière de l'Islandaise.
Gorgé de field-recordings d'oiseaux qui semblent avoir été enregistrés dans une forêt martienne, de plans de flûtes Debussy-esques, de morceaux qui s'étendent de 1 minute 45 (l'interlude "Paradisa") à 9 minutes 47 (la rêverie Vallalah-érotique "Body Memory"), l'utopie de Bjork est saturée de pistes, d'idées, de dissonances subtiles, entre opéras électroniques et digressions spoken-word, tour à tour utopie anti-patriarcale et vision paradisiaque perchée.
Prolixe, lourd, verbeux, emphatique, naïf et conceptuel, Utopia nécessite une adhésion totale de l'auditeur pour fonctionner. Il n'a pas eu la mienne, il aura sans doute celle des fans de la chanteuse.
Arthur Cemeli
Je garde une image de Björk : celle d'un concert que j'avais été voir à Bercy en 2003. Son public de beaufs qui huait la première partie (Peaches) et qui a même fini par avoir envie de siffler son idole parce que son visage était caché par un impressionnant masque (très Matthew Barney dans mon souvenir, mais la mémoire est une sacrée michtonneuse et vous le savez comme moi). Björk, donc, c'est en partie, l'histoire d'une disparition. Celle d'une chanteuse qu'on veut faire rentrer à tout prix dans le moule de pop star, une sorte de version Fée Clochette de Madonna, vingt ans avant le retour de l'Heroic Fantasy régressive. Une mère violentée par les paparazzis aussi, une musicienne que l'on rabaisse et dont on déni les droits. Logiquement, elle a fini par sortir du radar et ne plus être prise en compte comme un être de chair et de sang (par envie ou par obligation, ça je n'en ai pas la moindre idée).
J'ai redécouvert Björk par un angle un peu contrarié et absurde: un album sacrément expérimental de Death Grips qui triturait sa voix dans tous les sens comme on tordrait le bras d'un copain au collège pour lui montrer qu'on est plus fort que lui. Soyons clair Le fait que Björk, la pop star, ait disparue et qu'il ne reste que sa voix me va très bien. Utopia est un album habité par cette disparition et hanté par cette voix. Alors certes l'emphase est parfois un peu démesurée, les arrangements un peu à côté de la plaque (ces cordes qui cherchent à titiller Haendel mais qui frisent une certaine kitscherie r'n b) mais cette version synthétique de Pierre et le Loup à l'âge de Harvey Weinstein et Lars Von Trier s'avale d'un bloc, un seul et on se surprend même à en redemander.
Adrien Durand