On a découvert La Nòvia, collectif, corps filandreux, asso solidement bâtie petit à petit par petites touches, petites illuminations successives, sans même réaliser qu'on avait affaire à quelque chose d'important et d'organisé. Il y a d'abord eu France, trio exceptionnel de rock de transe dont on vous a parlé en large il y a quelques semaines pour la réédition d'un de leurs disques chez Mental Groove et dont on suit fébrilement la trace depuis qu'on a découvert sa musique grâce au label de Sun Plexus; ensuite Yann Gourdon, pilier du trio avec sa vielle à roue amplifiée dont on a réalisé à force de lire le nom sur les programmes de Sonic Protest ou des Instants Chavirés qu'il était aussi l'une des figures les plus dynamiques de l'underground des nouvelles musiques improvisées; enfin un retour de flammes spectaculaire de l'étranger, notamment les animateurs du festival flamand Kraak, à Gand, qui furent parmi les premiers à s'intéresser aux activités remarquablement radicales des diverses entités très emmêlées du collectif.
Ce dernier fait est d'ailleurs significatif: les gens de La Nòvia se revendiquent tous de l'étiquette "musiques traditionnelles de France" et il fallait sans doute attendre le premier regard d'aimables cousins étrangers pour qu'on cesse de se pincer le nez et qu'on passe à l'acte d'écoute de leurs multiples activités. Pour de complexes raisons idéologiques, politiques et historiques dont on se garde pour l'instant d'entamer l'analyse et l'énumeration et à l'inverse de la plupart de nos voisons européens, la France en effet a mal à ses musiques traditionnelles, profondément et depuis longtemps.
Pour citer un article à charge rédigé en 2012 par notre collaborateur Sylvain Quément dans Chronic'art: "Dans l'inconscient collectif français, il y a un trou. Folkflores et musiques dites traditionnelles, sujet tabou, grand impensé médiatico-intellectuel (...). Folklore: mot maudit, marqué au fer rouge, associé à jamais aux sabots, à la poussière muséale et à la petite chose typique. Une hérésie bien française, alors que partout ailleurs, le mot réfère non à des styles, mais à des fonctions musicales"'.
Aussi quand un collectif basé en Haute-Loire "qui réunit des musiciens résidant sur un large territoire (Auvergne, Rhône-Alpes, Béarn, Limousin, Cévennes, Franche-Comté)" se revendique de la musique traditionelle, on se figure d'abord un remix foireux de "J'ai vu le loup, le renard et la belette", des indépendantistes bas du front avec des queues de rat sur l'épaule, des fanions qui battent au vent dans un village de vacances. Or les projets de La Nòvia, c'est exactement le contraire: puissance, stridences, ponts jetés vers les univers du noise, du drone, du psychédélisme et de la radicalité.
Yann Gourdon, premier idéologue et porte-parole du collectif, réfute d'ailleurs totalement le terme de "musique folklorique": "Si je suis tant réticent quant à son emploi, c'est que notre musique n'a rien de folklorique. La musique folklorique (pas "folk", le mot "folk" désigne encore autre chose) fixe un instant donné d'une pratique et lui confère une dimension muséale. Ce qui est en contraction avec ce qu'elle représente, puisque les musiques traditionnelles sont vivantes et en perpétuel mouvement. Mais il s'agit là d'étiquettes (tout comme "avant-garde, musiques nouvelles, drone, musiques improvisées"...) et ce n'est pas ce qui m'intéresse quand on parle de musique. Je préfère parler de l'expérience du son. C'est dans la radicalité de l'expression sonore que l'on peut percevoir les affinités esthétiques entre des musiciens tels qu'Antonin Chabrier (violoneux du Cantal) et Tony Conrad ou encore le Père Chaicrot (vielleux du Morvan) et Keiji Haino".
Des musique des montagnes d'Auvergne et du Limousin revisitées façon americana noise par Toad jusqu'aux bourrées des Alpes du Sud jouées comme la plus radicale des musiques nouvelles par le duo Violoneuses, c'est une ligne de force proprement incandescente qui traverse les groupes de La Nòvia, et c'est peu de dire qu'elle est communicante: elle emporte tout, tout, jusqu'à nos plus tristes, banales idées toutes faites sur les musiques de nos régions, montagnes et forêts. On est infiniment heureux que La Souterraine et MOSTLA se penchent aujourd'hui sur le cas du collectif avec cette anthologie perpétuellement captivante, galvanisante qui devrait décrocher quelques machoires jusque chez les amateurs de noise rock, de musique électronique et d'indie désincarné. C'est totalement gratuit à l'écoute et au téléchargement, n'attendez pas trop pour la récupérer.
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