Parmi les nouveautés discographiques dont il nous est un peu compliqué de parler sur ces pages, il y a ce coffret de Miles Davis qui vient de sortir et qui donne à entendre pour la première fois de l'histoire le "lost band" de la Grande Ere de transition 1969-70, avec Chick Corea au piano électrique, Wayne Shorter au sax ténor et au soprano, Dave Holland à la contrebasse et Jack DeJohnette à la batterie. Dans la mesure où c'est le disque le plus excitant que j'ai écouté cette semaine et que la seule raison pour laquelle je m'abstiens de vous en parler est qu'il faut bien poser des barrières quelque part, c'est un peu frustrant. Heureusement pour tout le monde, il y a eu les années 60 et, au hasard, ce groupe de rock marxiste allemand qui a eu la bonne idée de décider que les barrières, ça commençait à bien faire; c'est entre autres grâce à Can, donc, que je peux vous parler aujourd'hui de jazz électrique en loucedé.
Soufflés en tant qu'entité par la mort de Michael Karoli, les Czukay, Schmidt et Liebezeit ne sont pas encore totalement passés à l'indolence d'une retraite pourtant bien méritée. Irmin Schmidt s'occupe en collant des rythmes jungle sur des opéras adaptés du cycle mock-fantasy Gormenghast ou en donnant des interviews à The Drone, Holger Czukay fait du trip-hop classe avec des samples de musique iranienne, et Jaki Liebezeit fait des disques de minimal dub zarbi avec Burnt Friedmann.
Burnt Friedmann, parlons-en justement. Ponte méconnu de la musique électronique allemande écran large avec Drome on Nonplace Urban Field, il fait partie avec Jan St. Werner de Mouse on Mars, Stefan Schneider de Kreidler ou Uwe Schmidt (Atom TM etc.) de ceux qui ont remis le pied à l'étrier des vieux pionniers krautrock. Collaborateur régulier de Liebezeit depuis de le début des années 2000, c'est probablement lui qui est à l'initiative de Cyclopean, supergroupe donc qui débauche aussi Schmidt et Jono Podmore (alias Kumo, alis le co-prod des Lost Tapes, alias le beau-fils d'Irmin et Hildegard).
Deux membres de Can dans la barque, ça veut donc dire une grosse sortie poussée par Mute plutôt qu'une sortie en catimini sur Nonplace (le propre label de Friedman) et plus d'articles dans les magazines féminins; Mute d'ailleurs a eu la bonne idée de pousser son nouveau produit chez les fans de Can en offrant le chouette "Fingers" aux acheteurs des Lost Tapes le jour de Noël. Y-a-t-il un rapport?
On va la jouer safe en répondant "oui et non". Inspiré par l'achitecture mycénienne, le quatuor fait des blocs de groove sec et plein d'air, sans afféteries ni débordements, qui rappellent autant le dub typique de Friedman que l'équilibre magique de Landed ou Soon Over Babaluma. On doit pouvoir remercier en grande partie la légendaire abnégation musicale d'Irmin Schmidt pour ça: toujours l'anti Keith Emerson par excellence, le mec n'a pas joué une note en trop depuis 50 ans. Ce petit EP augure de choses formidables pour l'avenir des musiques progressives qui n'ont rien à voir avec le rock progressif. Ecoutez-donc pour voir si c'est pas vrai.
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