A l'annonce de la sortie d'un triple disque d'inédits du plus grand groupe de rock allemand de tous les temps, la première question qu'à peu près tous les intéressés se sont fébrilement posés a légitimement été: "Oui mais on parle de vrais inédits ou d'une série d'outtakes et de jams pourris?" Premier élément de réponse trop facile à détourner, le "Millionenspeel" qui nous a été livré en pâture au printemps était tellement effectivement ahurissant qu'on a d'abord craint l'arbrisseau en or massif qui cachait la forêt de pins en plastique. En deuxième sur l'argu marketing et en premier dans les Liner Notes qui accompagnent le coffret, l'absence de nostalgie et de sentimentalité des trois survivants du groupe, qu'on croît sur parole, est affichée comme le meilleur des filtres à merde. Dixit Irmin Schmidt:
"There is something that all four Can members have in common: we are very unsentimental, and not very gifted for nostalgic emotions. And that makes it easier to judge something in cold blood, to decide if it’s good or not. And if it’s tapes from so long ago, you judge it, really, like it is by somebody else.”
Et puis il y a la jolie histoire qui justifie la réapparition plus ou moins soudaine de ces trois heures de musique plus ou moins jamais entendues entre 35 et 40 ans après leur enregistrement: tout était caché entre les lattes de l'Inner Space Studio à Weilerswist et fut redécouvert quand ce dernier fut démantelé pour être déménagé au Rock'n'Pop Museum de Gronau. Avis aux amateurs bootleggers, le contenu du coffret constitue la crème de la crème de plus de 50 heures de bandes enregistrée entre 1968 et 1977 qui dormaient paisiblement dans un entrepôt à température contrôlée et qui attendaient seulement un laborieux boulot de classement et de nettoyage pour être compilées-emballées et transformées en deluxe item pour les disquaires.
Sans livrer de verdict définitif (on laisse ça aux Can-ophiles en ligne), on avouera juste que ça fait deux semaines qu'on écoute que ça et que tout le reste a l'air terriblement fluet et laborieux en comparaison. Bien sûr, c'est plus un buffet d'aéroport qu'un menu de trois étoiles. On y trouve pêle-mêle musiques de film et de téléfilm, lives, jams diaboliques, tourneries qui distendent le temps, classiques en gestation, collages et bruits trouvés bricolés en temps réel. Tout n'est pas grandiose en fait. Mais c'est ça le plus heureux: Can n'a jamais été ce groupe qui peaufinait sa cohérence pour la postérité mais plutôt une synergie, une multiplicité de recherche et de divagation - pour reprendre une formule du critique de cinéma Manny Farber que j'ai entendu l'autre soir sur France Culture, de l'art termite plutôt que de l'art éléphant blanc.
Les 10 titres que nous vous proposons d'écouter aujourd'hui ont été soigneusement sélectionnés par Mute. On vous jure en passant que la densité en or massif contenue dans les 20 autres est exactement la même. Et on en profite pour vous rediriger vers cette interview d'Irmin Schmidt que nous avions shootée l'été dernier à Ludwigsburg. Faites tourner.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.