Si l'expression "sortir de sa zone de confort" n'était pas l'apanage des coachs de vie dans les épisodes de Keeping Up With the Kardashians (et autres affiliés, c'est juste le premier nom d'émission de télé-réalité qui me vient en tête), alors on pourrait dire que l'on tente (un peu) de sortir de notre zone de confort avec cette nouvelle rubrique mensuelle. Un peu, parce qu'on est tout de même habitué à vous parler de musique expérimentale, noise, power electronics, drone, ambient et affiliés sur The Drone. Un peu moins, parce que c'est pas non plus tous les jours qu'on vous fait une playlist exclusivement composée de bizarreries arythmiques, de techno façon chaton égorgé et de plages noise de quinze minutes. Donc voilà, avec cette première édition de notre nouvelle rubrique Spéléologie, après le Panier de Crabes, la Partie de Craps et le Cornet de Bœuf, on essaie donc "un petit peu" de sortir de notre zone de confort.
D/P/I "Pattern:WAYTA?"
C'est fou comme les plasticiens semblent s'être greffés à la musique expérimentale ces dernières années, ne semblant faire corps avec elle qu’à travers l’étalage de leurs track-installations parfois intrigantes, souvent un peu vaines. D/P/I, Alex Gray de son vrai nom, a quant à lui frayé avec les bardes angelenos de Sun Araw (dont on n'a pas de nouvelles depuis un petit moment, soit dit en passant), ce qui lui donne sans doute ce petit surplus de psychédélisme enfumé qui fait la différence. On apprécie en tout cas les blips blips en ping pong, la science "microwave garage", et cette manière sans doute un peu fumeuse, frondeuse et inconsciente de faire un pied de nez à Holly Herndon en la battant sur son propre terrain à coups de tatanes footwork microwave dans la face.
Felicia Atkinson "Ma Langue La Premiere (Love Means Taking Action Mix)"
On avait croisé l’œuvre de Felicia Atkinson il y a peu, à l’occasion du baudelairien Comme un seul Narcisse (2016, Shelter Press). "Ma langue la première" poursuit le dialogue toujours périlleux du poème et de la note. La distinction perd ici un peu de sa pertinence. Les mots plongent la tête la première dans le piano, avant que le beat ne mette en mouvement ce dôle de temps suspendu. Les voix ricochent, hésitent, murmurent et façonnent un langage virtuose et passionnant.
Alexandra Atnif "Last Strand of Reason"
On a parfois l’impression avec la musique expérimentale en général qu’il suffit de beugler en esperanto dans un micro avec de la distorsion (ou du delay court) ou de lancer une boucle de sons "concrets" pendant une demi-heure pour pouvoir prétendre à l’abstraction et à la grande pertinence de l’Art. C’est en tout cas ce que doivent penser les mecs qui n’ont jamais écouté de disque de Merzbow et qui mettent les pieds pour la première fois dans une soirée Non Jazz. C’est l’impression que me fait ce morceau d’Alexandra Atnif, tout du moins jusqu’à la moitié environ, à peu près au moment où les infrabasses se font tellement lourdes et intrusives et déchirantes que je ne peux que lever la tête, respirer un bon coup et me demander si mon jugement esthétique ne sera de toute façon jamais que maladie et biaisement.
Lastrack "Zdry Connexion"
Trouées de nappes de techno atmosphérique, résidus de souvenirs de rave même pas vécus par son auteur, drum'n'bass chopped'n'chaloupée et un drop qui n'a rien à faire là : sur "Zdry Connection", Lastrack ne laisse rien partir, laisse tout en suspens, comme pour faire perdurer le plaisir de l’hallucination. Si on était au cinéma, on appellerait ça un film-trip. Là, on parle juste d'une musique qui sera éternellement celle des drogués, des freaks et des petits malins.
Unglee Izi "Ollopa"
Le label rennais Lost Dogs Entertainment voue visiblement son existence à sortir des trucs tellement baisés qu’ils en deviennent aussi fascinants qu’ils font office de repoussoir pour les amoureux des belles lettres et des harmonies distinguées. Après les chinoiseries rap de SECTEURFLECHE (dont très franchement, on ne comprend goutte), et les excroissances house nihilistes potaches de Le Matin, Lost Dogs nous balancent une salve de 17 minutes, dont on n’arrive à distinguer le bon grain de l’ivraie, le titre du nom de l’artiste, l’intention biaisée du propos étouffant. Petit laïus débilos sur la fin de l’espèce et le post humanisme ? Aparté sur les atomes chimiques et le futur dystopique de l’imagerie numérique (ou quelque chose comme ça) ? En tout cas, ce capharnaüm cosmico-noise et industrialo-pouët-pouët fait certainement son petit effet.
Emra Grid "Organ Scene"
Ce n’est pas parce que le label Opal Tapes se coltine cette image de sectaire antisocial et austère du Nord de l’Angleterre qu’il va commencer à se soucier du qu’en dira-t-on. Sur une de ses dernières sorties, Emra Grid, il continue toujours plus avant sa percée de toutes les nuances du noir et des formes sévères. Et comme toujours avec les sorties d’Opal Tapes, les plus patients et les plus avisés auront observé que la noirceur la plus absolue ne se départit pas chez eux d’une certaine volupté. Dans tous les cas, vous pouvez toper le disque chez les copains distros de Undo Music.
Container "Peppered"
Container est un peu le roi de la techno noise américaine, au même titre que Mark Twain le père de la littérature américaine moderne ou Bob Dylan le chantre de la protest song américaine nobelisante (et ouais, on n'est pas prêts de s'arrêter avec cette vanne). En tout cas, Ren Schonfield est tellement bien dans ses baskets et son trône crasseux qu'il ne sait plus quoi faire de ses deux mains. Du coup, il nous refourgue une sorte de dance music qui n'a de dance que le nom, branchée sur le canal "Martin Rev industriel" et plus occupée à dévisser méthodiquement chaque boulon de chaleur humaine qu’à faire bouger le popotin du chaland qui passait par là. Et personne ne lui en tiendra rigueur.
Seabuckthorn "The Good River"
On a déjà pu écrire tout le bien qu'on pensait des freestyles à douze cordes de l'Anglais Andy Cartwright alias Seabuckthorn. Après l'album They Haunted Most Thickly pour les Français de Bookmaker Records, le néo-Bristolien sortira le 21 octobre prochain la cassette I Could See The Smoke sur le label américain Lost Tribe Sound. L'excellent 'The Good River' qu'on a prélevé pour cette rubrique et sur lequel Cartwright fait plus dans le drone folk mental que dans l'Americana 2.0. ou le "folk panoramique" (sic) ne dépareillerait pas chez les zinzins de La Nòvia.
Kevin Drumm - Indifferent Bystander
On a trouvé cet "Indifferent Bystander" sur le pas de la porte en rentrant de vacances. La productivité de Kevin Drumm étant ce qu'elle est, profuse et constante, on n'a été qu’à moitié étonné. Ici encore, les infrabasses conséquentes qui mènent d'emblée la charge ne parviennent pas à dissimuler l'incroyable délicatesse de l'œuvre.
Marc-Aurèle Baly, Anton Les Oiseaux, Damien Besançon.
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