Et le défi du jour qui s'avance: comment diantre arriver à vous rendre sexy ce petit vinyle? Comme quelques médias aux alentours, on vous a pas mal bassinés avec l'hantologie, ce curieux mouvement venu des profondeurs d'Angleterre qui convoque monts et fantômes de l'inconscient culturel collectif britannique (ses contes, ses légendes, ses mythes) de la nuit des temps jusqu'aux années 70 pour littéralement percer des trous de ver dans le tissu du temps présent. Or, de Ghost Box à Demdike Stare en passant par les rééditions du label Trunk, l'auditeur français s'est souvent trouvé face à des objets tellement singulièrement anglais dans l'embrouillamini diffus de références qu'ils enfermaient qu'ils en devenaient un peu opaques, voire carrément hors d'atteinte pour son imaginaire.
Que ceux que le flou frustre se réjouissent donc: ici, on a affaire à des fantômes 100% français et un paysage onirique dans lequel ils pourront se projeter à l'aise. Edité originellement en 1975 pour accompagner le numéro 79 de la revue "Art enfantin et création" (ça ne s'invente pas), ce petit disque de démonstration des bienfaits de la pédagogie Freinet (je vous laisse compulser cette page sur le sujet) présente des oeuvres créées par des élèves du second degré, de la 6ème à la terminale, dans la liberté la plus totale. Dixit le petit texte qui accompagne la sortie de la réédition: "Les éducateurs et enseignants pratiquant la Pédagogie Freinet cherchent à développer des pratiques pédagogiques ancrées dans la réalité sociale, pour œuvrer à une réelle émancipation des enfants. Ils revendiquent une école où chaque enfant peut s’exprimer, se responsabiliser, coopérer, expérimenter et s’ouvrir sur le monde. Texte libre, dessin libre, correspondance inter-scolaire, imprimerie et journal étudiant..., qui se perpétue à nos jours".
Immédiatement, ces miniatures d'obédience folk et chansonnière "qui n’auraient pu voir le jour sans le climat chaleureux qui a animé les groupes dont ont fait partie les auteurs" nous propulsent dans cette époque où les maîtresses avaient les cheveux longs jusqu'aux fesses et s'habillaient en djelaba, où le PCF talonnait le PS aux municipales et Anne Sylvestre, Hugues Aufray et Joan Baez squattaient sur tous les tourne-disques de France. L'"Hommage à Puig Antich" qui clôt la face A du 45 tours est particulièrement représentatif du bain d'eau tiède et de craie dans lequel on nous propose de replonger: exécuté par le régime franquiste en 1974, l'action de cet anarchiste catalan membre du Mouvement Ibérique de Libération était au moins aussi emblématique, dans la France post soixante-huitarde, que celle du Che ou les paroles des chansons de Ferré.
Au-delà de l'effet madeleine instantané et de la piscine de nostalgie que ces huit chansons déverseront sur la tête de n'importe quel être humain né sur le territoire français entre 1950 et 1990, on voudrait aussi dire qu'il y a ici des moments de grâce, de naïveté et de sauvagerie aptes à faire fondre instantanément n'importe quel être humain né n'importe quand n'importe où ailleurs sur la planète. Il y a d'ailleurs fort à parier que les Suédois de Tona Serenad, qui co-rééditent le disque avec Charlotte Sampling, le digger français qui se cache derrière Baisers volés, n'entravent rien à ce qui y est raconté. Pas loin de Classroom Projects, la compilation de musiques expérimentales enregistrées en écoles élémentaires sortie il y a quelques semaines sur Trunk, L'enfant de la liberté est moins destiné aux archéologues et aux historiens qu'aux auditeurs un peu curieux en quête de sensations pures.
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