Une ombre gigantesque flotte au-dessus de ce disque: celle du Commandeur Erik Satie. Par le biais des Minimalistes, de quelques excentriques et de quelques ténors de la musique de film, l'oeuvre fantasque du génial inventeur n'a bien sûr jamais cessé de hanter la musique du XXème siècle; mais à l'inverse de celles de Ravel ou Debussy, son influence reste plutôt d'ordre conceptuel et "systémique" (ses fameuses Vexations, oeuvre fondatrice d'une certaine modernité) que directement musicale.
Compositeur spécialisé dans la musique de film, vraisemblablement peu concerné par les débats autour de la modernité et de la postmodernité qui agitent régulièrement le monde de la musique contemporaine, le Suédois Matti Bye s'est fait une réputation en improvisant des bandes originales inédites pour des classiques du cinéma muet suédois (La Charrette fantôme de Victor Sjöstrom ou le mythique Häxan, la sorcellerie à travers les âges de Benjamin Christensen). Vu la rayonnance de l'oeuvre pour piano de Satie chez ses contemporains à l'âge d'or du cinéma muet, on suppute donc un transfert tout simple d'influences (et de substance ectoplasmique): habitué à traîner sa caboche dans les images et l'imaginaire du début du siècle, c'est tout naturellement que le Suédois en goguette (comprendre, sans images à illustrer) s'est mis à pondre de la proto-gymnopédie en pagaille.
On force bien sûr un petit peu le trait parce qu'il y a plein d'autres belles choses sur Bethanien qui n'ont pas grand chose à voir avec les années 1910 et les danses de traviole du compositeur français, mais surtout parce que c'est le meilleur moyen qu'on a trouvé pour vous vendre ce qui reste avant tout une collection de piècettes pour piano plus ou moins romantiques, plus ou moins rétro(grades) et toutes tonales et qu'on conchie en général le genre (vous avez écouté cette horreur?) pour son joyeux conservatisme. La différence entre ces pièces pleine de poussière et les horreurs néo-classiques qui encombrent les étagères? Outre le fait que la production 100% vintage signée par Joel Danell est remarquable, on a simplement envie de répondre: il y a des rêves plus beaux que d'autres. Celui de Bye pour Bethanien lui a été inspiré par l'hôpital désaffecté de Bethanien, à Berlin, qui fut longtemps habité par des squatteurs et des artistes et où le Suédois a eu la chance de faire résonner sur grand piano les bases de son album et le moins qu'on puisse dire, c'est que les fantômes y abondent comme dans celui de Lars Von Trier, d'Hôpital. Sortie ce jour même sur l'excellent Tona Serenad.
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