On l'a appris à notre bonheur ou à nos dépends, rejouer la musique du passé n'est plus, en 2015, une affaire de rétrophilie, de fétichisme ou de politique du repli: c'est plus prosaïquement l'une des rares manières qu'a le musicien de ce début de millénaire de créer, sculpter et composer sincèrement avec son temps et le matériau très (trop) complexe qui s'offre à lui. Comme pour les autres arts, personne n'est vraiment à blâmer bien sûr (on ne choisit pas l'époque dans laquelle on vit et dans laquelle on crée), moins en tout cas ceux qui prennent le problème à bras le corps, comme des critiques plutôt que des gardiens de musée, que ceux qui perpétuent les vieilles traditions comme les rétrogrades pur jus qu'ils sont au fond.
Ainsi le Stockolmois Joel Danell alias Musette, compositeur, membre éminent des Joe Davolaz, hantologiste presque certifié et Broadcastien notoire use à l'instar du grand et très, très regretté groupe de Trish Keenan et James Cargill, use des musiques du passé comme un canevas à rêves et un champs d'expérimentation plastique infini que comme une manière de confirmer les soldats du "c'était mieux avant". La tentation est grande aussi de le comparer à Todd Terje pour sa passion des musiques utilitaires de l'ère Space Age (cocktail music, easy listening, exotica) mais alors Danell serait un Terje sans les velléités disco, avec du cran en plus et une vraie conscience, des états d'âme et du remords comme le vrai nostalgique qui sait que quelque chose cloche dans sa manière un peu moribonde de s'accrocher au passé.
La musique qu'on peut entendre sur A Cosmic Serenade, son troisième album à paraître au Printemps sur Häpna, est ainsi infiniment fun et infiniment mélancolique comme l'était celle de ses modèles des années 50, 60 et 70 (d'Esquivel à Morricone) mais avec le goût tres amer d'une perte irrémédiable en plus. Cette perte c'est, une fois de plus, une énième fois il faut l'avouer, celle de notre temps si angoissé d'etre passé à côtés de tous ses rêves, angoissé jusqu'à la moelle surtout de ne plus jamais être capable d'en accoucher de nouveaux.
Bien sûr le symptôme n'est plus neuf depuis un bon moment (on vous a pas mal rabâché les oreilles avec l'hantologie et ses dérivés) mais Danell a sa propre maniere, toute suédoise, légère et tres dandy, de culpabiliser et de s'arranger avec sa culpabilité. Compatriote et continuateur des Cardigans et du producteur rétromaniaque Tore Johansson, c'est une esthète total du rétrofuturisme qui a l'air de ne pas se faire une sinécure du trop-de-passé dans le présent mais qui bourre ses disques de moments d'angoisse et de signes contradictoires. Ainsi si A Cosmic Serenade a beau déborder de mélodies délicieuses, de rythmes désuets (mambo, calypso, cumbia) et de mots en Espagnol, on retient surtout les signes de l'Apocalypse qui lardent ses marges et contredisent tout le temps sa légèreté. C'est précisément pour cette raison que c'est d'ores et déjà un des grands disques de l'année entamée. La problématique étant posée pour de bon, je vous laisse maintenant deviner comme des grands les deux mots qui forment le mot valise du premier extrait en écoute ci-dessous.
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