Le monde semble fin prêt pour la musique de Saåad. Ecartant d'emblée la métaphore possible avec cette mélancolie aqueuse qui nous tient prostrés dans le gris depuis une quinzaine d’années (avec ses trois « a » à son nom, Saåad a bien sûr l'air de se la jouer trois fois plus triste et désolé que la plus triste et désolée de tes copines), nous remarquons effectivement que l'ambient mastodonte, faussement hiératique et monochrome de ce duo toulousain déroule à un tempo qui semble tout apprêté pour nos vies: suffisamment discret pour ne pas les parasiter quand on y plonge les pieds, et suffisamment profond pour les ralentir pour qui se piquerait d'intégralement s'y immerger.
Vous allez me dire, c'est le cas de tout disque d'ambient qui se respecte. C'est même le principe de la musique synthétique sans échine de fonctionner autant quand ou l'oublie que quand on la scrute au niveau moléculaire. Mais la musique de Saåad se distingue autrement que par sa forme en flux. Placée dans la grande lignée post-industrielle qui a donné au monde Zoviet France, Deutsch Nepal ou Lustmord, elle tire toute sa force de sa faculté à gommer la frontière entre ombre et lumière. A la fois abyssalement sombre et mystérieusement luminescente, elle continue surtout, sans doute sans le savoir, la tradition de la musique sacrée (d'Occident ou d'ailleurs) dans ce qu'elle a de plus complexe, de plus paradoxal et de plus beau, à savoir l'indiscernabilité entre extase et terreur, la confusion entre la joie béate et la mélancolie, la continuité directe entre la célébration céleste et la désolation terrestre.
Tout est dans le titre de ce court album d'ailleurs, leur premier à écouter en LP: "Deep" pour les couches inférieures où sombrer dans le noir avec les asticots, "Float" pour les couches supérieures où s'échapper et reprendre son souffle quand le corps commence à défailler. Et des deux extrêmités de l'échelle de Jacob, c'est du top niveau - des vrombissements puissants comme du Lustmord dans les limbes et des aplats éclatants comme ceux de Vangelis par-delà les nuages. C’est que, totalement voués à la cause de leur ambiant titanesque, Saåad ne le pratiquent pas comme la plupart - en touristes, parce que ça a l’air fastoche de faire vrombir les membranes des enceintes en larguant trois bourdons dans une reverb’ numérique. Non, Saåad vivent leur passion du son à plein temps et à fond les ballons, n’hésitant pas à l'occasion à faire appel à une vallée des Alpes toute entière pour faire résonner les fréquences basses de leurs complaintes synthétiques. Si vous ne devez faire confiance qu'à un seul groupe dark ambient en 2014 pour accompagner vos vies surmenées ou compléter votre exploration scrupuleuse de Messiaen ou de la musique sacrée de Jean-Sébastien Bach, Saåad n'est donc sans doute pas le plus idiot des choix. Deep/Float sort en vinyle transparent le 17 avril sur Hands in the Dark, et s'écoute ici, tout de suite pour les impatients.
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