Curatrice d'art, journaliste pour des magazines d'art contemporain tels que Bidoun, Frieze ou Dis, membre du supergroupe Future Brown (shitlist 2015 !) ou encore plasticienne, Fatima Al Qadiri cumule les casquettes. Mais si elle est la cumularde la plus appréciée du petit royaume tendance de Dis Magazine et HBA à New York, c'est peut-être pour le regard acéré qu'elle porte sur son pays d'adoption.
Ce premier extrait de Brute, son album à venir sur la maison mère de la dubstep, est une fois de plus un exemple de démonstration sinogrime (vous savez, ce sous-genre du grime dont Kode9 est le maître). Apparu au début des années 2000 dans des quartiers de l'Est londonien, Bow et l'île aux Chiens, le genre avance une esthétique futuriste basée sur le postulat que le Royaume-Uni n'aura bientôt plus qu'une tierce place dans l'économie de marché et que le monde sera dominé par l'Orient. Soit une manière de rappeler qu'au-delà des histoires de domination économique, le précieux melting-pot du pays de sa Majesté le rapproche davantage de l'Inde ou de la Chine que de cette grande nation communautariste que sont les États-Unis.
Ceci explique peut-être pourquoi la musicienne, New-yorkaise d'adoption et originaire de Dakar, s'est si bien appropriée le genre. Arrivée aux Etats-Unis après la première guerre du Golfe, Al Qadiri passionne dans les bastions avant-gardistes des grandes villes occidentales, New York, Londres ou encore Berlin.
Qu'on la considère novatrice ou surévaluée, la musique de Fatima Al Qadiri revendique de manière inédite un concept de confrontation entre Orient et Occident et questionne l'avenir des lieux qui feront demain - où seront les nouveaux Place to be, en somme. Deuxième album annoncé sur Hyperdub (le précédent était Asiatisch), Brute questionne les thèmes de l'autorité et "la relation entre la police, les citoyens et la protestation dans le monde entier". Illustré par une oeuvre de Josh Kline, il met en scène un soldat de la riot police dont le visage au bord des larmes est celui d'un Teletubbie. Ici, la répétition de la syllabe n'évoque plus le nom du personnage qui disait "Eh ! Oh !'" mais celui d'une arme à feu qui fait "Po-Po". Si l'art contemporain n'aime tant rien que laisser le spectateur patauger dans les interprétations, on ne peut s'empêcher de penser aux mouvements de protestation qui n'en finissent plus d'éclore depuis les événements de Ferguson en août 2014.
Pour l'heure, on se contentera d'apprécier de quelle manière l'esthétique sinogrime fonctionne avec la satire. Au même titre que d'autres musiciens aux idées anti-souverainistes comme Chino Amobi, Serpent with Feet ou Elysia Crampton, Fatima Al Qadiri entend en découdre avec l'ordre établi. En savates Adidas et robe Vfiles, éternellement.
En attendant le 4 mars, écoutez "Battery" ci-dessous et allez vous marrer sur le site de l'artiste Babak Radboy qui a fait l'artwork.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.