Quand Bryn Jones est mort en 1999, le monde se fichait pas mal de la musique étrange de Muslimgauze. Syncrétisme farouchement unique, presque autistique de divers relents électroniques et post-industriels (noise, indus, dub, electronica, ambient) et de musiques traditionnelles du Moyen-Orient, Muslimgauze était, à la fin des années 90, moins un objet de culte qu'un item terrifiant dans les mail-orders et les magazines super spécialisés (chez nous Hyacinthe/Octopus, Feardrop ou 18 Jardins). Terrifiant, parce que des disques de Muslimgauze, il nous en arrivait entre 10 et 20 par an - plus qu'aucun mélomane, même hardcore, n'était capable d'en écluser - et parce qu'ils se ressemblaient tous un peu, beaucoup, passionnément. Je me souviens, à l'époque où je gribouillais dans mes premiers fanzines, les paquets de promos qui nous arrivaient par la poste de Staalplaat, les triple albums conceptuels, les packagings délirants, les drones de 80 minutes: on se les refilait comme des patates chaudes parce qu'au bout de 3 chroniques en 3 mois, on ne savait plus quoi écrire dessus.
Mais formé dans le creuset post-punk/post-indus anglais du début des années 80 (le même qui a vu naître Whitehouse, Ramleh ou Zoviet France), Bryn Jones était un artiste possédé et politisé jusqu'au bout des ongles: rappelons que la naissance de Muslimgauze en 1982 fut la seule réponse que le Mancunien trouva pour exprimer son indignation face à l'invasion du Liban par Israël en juin 1982 et que la plupart de ses tressaillements discographiques étaient motivés au jour le jour par les actualité du Moyen-Orient. Fatalement, ce genre d'engagement intégral, fiévreux, politiquement brûlant, les petites mains et les petits joueurs de 2014 l'observent avec un mélange d'envie et d'incrédulité.
Quinze ans plus tard, l'argus Muslimgauze a donc été multiplié approximativement par mille. Influence évidente sur des myriades de trifouilleurs de bruit, cité explicitement (voire plus si affinités) par quelques artistes importants de notre temps (Dominick Fernow et son Vatican Shadow, Demdike Stare, Shackleton, Raime et la plupart de zonards de Blackest Ever Black), Bryn Jones n'a jamais été aussi présent dans un paysage musical que dans celui des années 2010.
Riche de près de 200 références officielles (dont une bonne moitié publiée après sa mort), son oeuvre fait actuellement l'objet d'une avalanche de rééditions augmentées, notamment chez Staalplaat, légendaire institution amsterdamoise qui a publié à elle toute seule une cinquantaine de références de son catalogue. Drugsherpa, dont on parle aujourd'hui, est initialement paru en cd 3 pouces en 1994 et demeure dans le coeur des fans comme un moment particulièrement fort et saillant de sa monstrueuse carrière. Ici, on ne le connaissait pas et on doit avouer qu'on est d'accord: construction sinueuse d'ambient techno distant, de collages abrupts de musique indienne et de trous d'air, c'est effectivement l'une des oeuvres les plus denses et ésotériques du corpus muslimgauzien et les inédits et mixes alternatifs que les gens de Staalplaat ont collé à sa suite sur cette rééditions ont tous l'air bien. Autre porte d'entrée possible, le Turkish Berlina inédit de 1997 qui paraît simultanément est plus emblématique du travail tardif de Jones, plus marqué par le dub et les percussions abrasives de l'electronica. Enfin, pour ceux qui mordraient à l'hameçon plus que de raison, la prochaine étape est un gargantuesque coffret 10 LP + livre regroupant l'intégralité de la première période de Jones, entre 1983 et 1987. Ça sera officiellement disponible en avril chez Vinyl on Demand et ça se précommande ici.
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