On connaît bien l'histoire: une scène très étrange naît au croisement de quatre autres scènes très étranges; les journalistes peinent à lui trouver des papas et des mamans spirituels; alors la scène va s'en dénicher un, si possible un peu pété, un peu indigne, surtout largement inconnu du grand public, et unit ses forces pour lui rendre hommage. C'est le cas le plus intéressant - voire le seul valable - du tribute album, ce rejeton difforme et nauséabond de l'industrie phonographique: le genre "Manifeste à 359°"qui nous fait découvrir sans douleur tout un tas de groupes dont on n'avait jamais entendu parler tout en rappelant à notre bon souvenir un pékin trop longtemps perdu dans les bas-fonds de l'Histoire. Notez bien qu'on écrit "pékin" et "bas-fonds" sans jugement de valeurs. D'Arthur Russell à, euh, Sixto Rodriguez, on commence à savoir que cette dernière n'a pas toujours eu les yeux en faces des trous.
Le pékin oublié du jour s'appelle donc Marcel "Micky Mike" Thiel, il a commencé sa carrière comme guitariste du premier groupe de punk wallon repertorié (Chainsaw) mais a surtout marqué ses fans (wallons aussi) avec quatre albums électroniques plus ou moins réalisés en solitaires sous le nom plus mishima-esque-tu-t'ouvres-le-bide-avec-un-couteau-rouillé de Snowy Red. Soufflé par la tempête New Beat à la fin des 80s, le Micky s'est fait la malle de la scène puis tenté le comeback en 2004 avant de disparaître prématurément en 2009, à l'âge de 52 ans. En tant que non-wallons et non-aficionados de la cold wave, on avoue qu'on ne connaissait pas; à écouter son très valable tube cold-wave "Euroshima (Wardance)", on se dit que l'Histoire de la pop a effectivement des voies impénétrables. On est en tout cas pas surpris que la scène post-garage post-synthwave post-etc. se soit trouvée un Eden dans cet océan de mélodies mineures et de naïveté.
Curaté par un tout jeune label lointainement afficilé à Teenage Menopause dont le blaze cache à peine les ambitions (de Weyrd Son à Wierd Records, vous conviendrez que la similitude grapho-linguistique est flagrante), ce gargantuesque double-LP avance donc comme un véritable panorama des forces en présence de la synth wave contemporaine. On reconnaît vaguement deux trois noms (Scorpion Violente, les Américains de Led Er Est, Tense), mais on se délecte surtout à l'aveugle de la variété des tons: ça va de l'abrupt à l'abscons, du baroque gogol au très sérieusement romantique, de la pompe très correcte de Wire à la pure dope electro. Aucune idée de la quantité des pistes explorées effectivement contenues en germes dans l'oeuvre éventuellement séminale de Snowy Red mais en fait on s'en fiche un peu: ce qui nous intéresse surtout ici c'est l'état de cette jeunesse garage qui a choisi de collectionner les 45 tours de cold wave belge et les vieux synthés plutôt que les compils Nuggets et les guitares Gretsch. Visiblement, elle se porte bien.
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