C'est le coeur rempli d'euphorie qu'on vous parlait il y a quelques mois de l'arrivée inopinée sur Bandcamp de Jim O'Rourke, héros intime, héros universel et emblème indéboulonnable de nos années 90 et 2000. Et on n'utilise pas l'adjectif "inopiné" à la légère - en retrait du biz de la musique indie et expérimental grosso modo depuis qu'il a coupé les ponts avec Sonic Youth et s'est installé au Japon pour devenir apprenti chanteur d'Enka, O'Rourke est surtout l'adversaire le plus acharné de la culture dématérialisée que vous pourrez trouver sur la planète, un fabuleux luddite enclin à vous sortir des laïus comme: "L’idée que quelqu’un passe une année à mixer un disque pour qu’il soit écouté en MP3 sur des écouteurs me semble complètement absurde. C’est comme regarder un film sur un Iphone. C’est complètement aberrant. Je n’arrive pas à comprendre. On ne voit pas le film, on en voit un fantôme."
Sans doute contraint de vivre avec son temps, O'Rourke n'a sûrement changé d'avis au sujet du mal qu'on se fait à mater des films de Nicolas Roeg en divx pourris, mais continue heureusement à se faire violence pour continuer d'animer Steamroom, la plateforme perso qu'il s'est créé pour distiller nouveautés, raretés et inédits du passé. Dernière sortie en date, le 10ème volume est une pièce électroacoustique réalisée pour une diffusion le 28 janvier dernier au CTM de Berlin qui nous rappelle avec émotion ses contributions au Cinéma pour l'oreille du label grenoblois Metamkine, réalisées à l'époque bénie où il était avant tout un ponte de la musique expérimentale.
De lien en lien, surtout, on est remontés à ce mini-album de Kafka's Ibiki ("les ronflements de Kafka"), trio d'impro dur à situer qu'il a monté avec le batteur Tatsuhisa Yamamoto (collaborateur régulier d'Otomo Yoshihide, Keiji Haino ou Makoto Kawabata d'Acid Mothers Temple) et Eiko Ishibashi, pianiste, chanteuse et songwriteuse arty-mais-pas-trop issue de la nouvelle scène indie japonaise qui a tapé suffisamment fort dans l'oreille de gens de Drag City pour qu'ils ressortent son dernier album (produit par O'Rourke, comme une évidence) aux Etats-Unis.
Le truc est sorti en août pendant qu'on ronflait sous un cocotier mais il se trouve qu'un deuxième disque physique, Okite, vient de sortir sur le label japonais Felicity. En attendant de pouvoir jeter une oreille sur les 37 minutes de l'unique morceau de ce dernier, on vous propose donc de tenter le coup avec ce premier essai doux, tordu, perdu entre quatre écoles de musique expérimentale différentes - on pense autant au mythique trio AMM ou à la pianiste américaine Marilyn Crispell qu'aux trucs d'ambient contemporain très chics et très texturés qui sortent sur Type (Svarte Greiner, Peter Broderick...). C'est pas seulement bien parce que c'est Jim O'Rourke, c'est bien parce que c'est bien.
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