Peu connu des lectorats comics tradi voire bédé indé, Jeff Lint est, de fait, plus réputé même chez les connoisseurs de contre-culture pour pour ses déboires avec Hollywood et ses thèses démentes sur l'assassinant de JFK (qui aurait été achevé par la balle tirée sur Lincoln par John Wilkes Booth après qu'elle ait ricoché de mur en mur pendant 98 ans) que son oeuvre elle-même. Son biographe, le romancier britannique Steve Aylett, le décrit comme l'auteur de "quelques-unes des oeuvres de science-fiction satiriques les plus étranges et les plus inventives du 20ème siècle" quand l'immense Alan Moore (V pour Vendetta, From Hell, Les Watchmen etc.) préfère le présenter comme "un homme extraordinaire aux activités extraordinairement variées... dont je déteste la plupart".
Mais si son oeuvre est si singulière et si Alan Moore s'épanche autant à son sujet, pourquoi donc Jeff Lint est-il resté si confidentiel? D'après Aylett, il avait l'envergure d'un Philip K. Dick mais aussi la facheuse manie à changer de peau et d'identité tous les deux mois. En une seule vie sans cesse ponctuée par des rumeurs de sa propre mort, cet Américain tombé du creuset Beat a tout fait ou presque, écrit des nouvelles pulp sous le nom d'Isaac Asimov (SIC) ou des scripts (refusés) pour Star Trek, ourdi quelques théories du complot totalement originales et formé un groupe de rock expérimental inspiré par les techniques de Captain Beefheart, The Unofficial Smile Group.
Autre raison possible de ses rendez-vous ratés avec la postérité: à l'instar de l'écrivain argentin Honorio Bustos Domecq ou du chanteur yéyé oublié Chris Conty, l'auteur de Jelly Result, I Blame Ferns et du comics culte The Caterer (dont le n°9 raconte une tuerie à Disneyworld) n'existe pas. Affilié au simili mouvement "Bizarro", sorte d'équivalent littéraire DIYU de l'hantologie britannique obnubilé par la culture bis et les vortex spatiotemporels, Steve Aylett n'a écrit Lint pour rendre hommage à personne et seulement inventé la vie et l'oeuvre de son protagoniste pour réécrire sa propre histoire souterraine du 20ème siècle.
Comme intoxiqué par sa propre fiction, le Britannique n'a pu ensuite s'empêcher de prolonger la blague en adaptant, montant et animant lui-même son livre en documentaire. Sorti en 2011 et vu dans quelques festivals de choix et bizarro-con autour du monde, Lint The Movie a été réalisé avec 23 euros (pige des intermittents et tickets de train y compris) mais bénéficie d'un gotha impressionnant d'auteurs weirdo dont Jeff Vandermeer (auteur génial des romans du Cycle d'Ambregris), les comiques britanniques Andrew O'Neill et Stewart Lee ou Alan Moore lui-même, décidément pas avare de sa personne pour perpétuer le canular. Comme tout bon mockumentaire qui se respecte, Lint the Movie se mate aujourd'hui en intégralité sur youtube, et c'est une sacrément bonne nouvelle.
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