Ce week-end, la Gare des Mines et le collectif MU offrent une passerelle entre déglingués de l'expérimentation tout terrain, fous des guitares décharnées et amoureux des boites à rythmes rudimentaires et vicelardes. Dans le cadre de l'ouverture de la Station, lieu éphémère coordiné avec la mairie de Paris et la SNCF, seront invités à se produire tout un petit monde de tirailleurs français sur le site d'une ancienne gare à charbon désaffectée. On risque bien d'en être, en particulier ce soir avec la fameuse doublette Cheveu/Scorpion Violente qui s'annonce des plus timbrées et casse-cous. Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement aussi, outre l'invitation de Mind Records et autres Ventre de Biche ou Quick Culture, c'est peut-être la carte blanche donnée au label Erratum de Joachim Montessuis dimanche, de 15h à minuit, qui nous semble être la proposition la plus audacieuse et potentiellement la plus féconde en carambolages soniques du week-end.
Joachim Montessuis fait partie de ces francs tireurs de l'underground français qui bénéficient d'une exposition famélique mais d'une audience suivie. J'ai personnellement eu l'honneur et le privilège d'activer une de ses pédales de loop pour mettre en branle sa vieille à roue lors d'un concert dans une cave exiguë à Belleville, et son live à la dernière édition du festival Sonic Protest, par sa puissance et ses crescendos de fureur, avait failli me faire exploser les esgourdes en des millions de petits cartilages - c'est donc peu dire que le type nous intrigue. Artiste transdisciplinaire, poète, créateur d'installations sonores, musicien noise, Joachim Montessuis est aussi et surtout le boss du label Erratum donc, pourvoyeur de musique jusqu'au-boutiste et visionnaire depuis 1994, allant de Charlemagne Palestine à ses propres travaux en passant par le poète sonore Henri Chopin. On a demandé à Joachim Montessuis de nous toucher quelques mots sur l'esthétique de son label, et de nous présenter cinq artistes sélectionnés par ses soins.
On vous rappelle que l'ouverture de la Station - Gare des Mines commence dès ce soir, et que toutes les infos sont disponibles ici.
Joachim Montessius : "Erratum vient d’Erratum Musical de Duchamp en 1913, première composition musicale aléatoire, avant Cage. Une association avec Michel Giroud et Yvan Etienne devenue rapidement micro-label géré par mes soins. A l’image de la musique que j’aime faire (de lents crescendos ultimes) le label prend de l’ampleur lentement et les sorties s’accélèrent depuis quelques années et cela devrait continuer ainsi. Je considère que l’erreur est humaine, que la mutation est au coeur du vivant, c’est donc l’inversion polarisée du transhumanisme qui tente de parfaire les choses en les robotisant. Je suggère aux artistes de proposer quelque chose dans ce sens : une erreur de parcours, une disruption dans leur propre système et cela donne des résultats intenses. Le label focalise sur des personnalités atypiques et singulières dans le tissu poétique et musical. Historiquement, les visionnaires sont les poètes, ce sont eux qui ont propulsé les avant-gardes artistiques. Je cherche donc les poètes actuels, les fous cachés, qui sont parfois en dehors du langage, ceux qui ne font pas de distinction entre poésie et musique. Voilà l’esprit du label."
Bryan Lewis Saunders
"J’ai rencontré Bryan via Myspace il y a plus de 10 ans. Nous avons travaillé 2 ans sur son disque, Lydia Lunch le décrit comme étant le dernier grand poète américain, et je pense que c’est juste. Il a une acuité tout à fait exceptionnelle sur l’état avancé de la dégradation des rapports humains aux Etats Unis. Il a réalisé plus de 10000 autoportraits dans des carnets qu’il trimballe partout. Il est devenu connu grâce a une cinquantaine de dessins réalisés sous l’influence de différentes drogues, c’est devenu viral sur le net, mais ce n’est qu’une infime portion de son travail. C’est un vrai poète, avec un parcours atypique, tout droit sorti de la culture white trash et underground américaine, prison et violence et excès en tous genres, je le considère comme un rescapé."
Gaël Segalen
"Gaël Segalen a un parcours atypique dans le monde des arts sonores. Elle a les oreilles les plus fines que je connaisse, elle entend tout et a une culture musicale très impressionnante, que cela soit en house, funk etc ou musiques expérimentales. Elle vient du cinéma et de l’enregistrement, puis a évolué vers tout ce qui touche au field recording et l’enregistrement de voix de toutes sortes de personnes tout au long de sa route. A mon sens elle défriche un terrain quasi inconnu, à savoir l’alliage entre le field recording, un genre un peu refermé sur lui même parfois, et la musique dansante, hypnotique, voire de transe. Son travail en solo ou en duo avec Afrikan Sciences en témoigne, et c’est du miel pour les oreilles."
New Crium Delirium Erratum Coyote Circus
"Ce groupe est une combinaison bizarre : Michel Giroud + Lionel Magal + Joachim Montessuis. Pour comprendre ce qui se passe ici, il faut connaître le parcours de quelqu’un comme Michel Giroud/ Coyote (75 ans, en forme extrême) et Lionel Magal/ Fox (70 ans) pionnier activiste sur tout ce qui touche au psychédélisme en France. Nous sommes tous les trois reliés à l’extase, la transe et au Tibet de différentes manières. Giroud est un activiste exceptionnel en France, il a publié un nombre impressionnant de livres sur les avant gardes artistiques radicales et la poésie sonore, sans lui le niveau serait très différent en France concernant ces choses là, c’est une sorte de ministre souterrain, un stratège obscur de l’art expérimental, perpétuellement en mouvement, et c’est le poète le plus fou que je connaisse. Lionel Magal est un phénomène aussi, toute l’intelligentsia artistique et expérimentale passait dans son lieu à Paris en 1967. L’anti factory, avec des hippies déjantés. Son parcours est son impact sont inquantifiables, et il demeure une personne discrète et perpétuellement en mouvement."
Junko
"Je vois JUNKO, au-delà de son appellation habituelle de Queen of Noise de par son affiliation au groupe pionnier de noise japonais Hijoikaidan, comme une poétesse. A mon sens, seul les poètes peuvent agir ainsi, dédier leur vie a quelque chose d’aussi intense et obsessionnel. Sa voix stridente et monocorde serait un alliage étrange entre le cri d’Artaud et un chant d’oiseau perpétuellement en devenir, une récréation au présent de sa perception du monde. C’est une personne très étrange et délicate, qui écoute de la pop chez elle, comme tout le monde - dit t-elle."
Le Verdouble
"Le Verdouble c’est Yvan Etienne - fondateur avec moi d’Erratum avant que cela ne soit un label, et Yan Gourdon que l’on ne présente plus. Nous avons tous des parcours différents et des points d’entrée et conclusions aussi concernant la musique modale et les sons continus dans les musiques du passé. Dans leur cas, c’est une combinaison exceptionnelle de deux vielles à roue, et toute cette fascination pour cet instrument qui puise ses racines dans la Chifonie, instrument médiéval qui veut dire « Symphonie », prend corps ici avec deux bourdons poussés dans leurs retranchements minimalistes, et cela donne, précisément, une symphonie de micros sons et d’harmoniques."
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