En ce soir de février 2015, à l'occasion de son passage à l'Espace B, Natalie Mering ne laisse percevoir aucun signe de fragilité dans la voix, alors qu'elle défend seule ses chansons en s'appuyant sur ses clavier, laptop et guitare : comme pour l'album The Innocents (paru trop discrètement en France fin 2014 sur Mexican Summer), tout repose en concert sur son chant parfaitement maîtrisé, sans ajouts sonores tonitruants. Sur le disque, elle endosse toutes les voix d'une chorale. Elle affine ses compositions, les interprète sans geindre opiniâtrement et dénude ses trouvailles harmoniques pour laisser son talent lyrique, tout en retenue, prendre place. Malgré ce voile savant, d'un raffinement toujours singulier dans la musique populaire, rien n'entrave la part la plus native de son souffle.
Après des débuts dans le collectif free folk Jackie-O Motherfucker, Natalie Mering nous présente donc Weyes Blood, seule à seule. Un tête-à-tête avec elle-même. De profil sur son deuxième album, The Innocents ; de face sur le premier, The Outside Room (sorti en 2011 sur Not Not Fun). Un champ-contrechamp biaisé, un dialogue entre deux entités qui ne parlent pas tout à fait la même langue, bien qu’elle y travaille seule depuis le début. Jusqu’à inventer un nom de groupe pour son premier LP, Weyes Blood and The Dark Juices, avec des musiciens qui n’existent pas. Ces Dark Juices sont sans doute les seules humeurs de son corps qui animent son esprit : bile, chyle et sang… qui se répandent et s'agitent de leur aura glauque sur un 4-pistes cassette, sous un soleil de Pennsylvanie qui vient jaunir son portrait en couverture de son premier disque – écrit et confiné en extérieur, c'est à dire librement – et qui va jusqu'à faire disparaître les couleurs du deuxième, simple silhouette, déjà archétypale, en noir et blanc.
Le souffle de bande magnétique rincée qui habite The Outside Room, l'aspect brut et de prime abord bancal des compositions évoquent inexorablement les expérimentations baroques des fées de la musique hantologique, de Nico et The Marble Index à Trish Keenan de Broadcasr et Mother Is The Milky Way. The Innocents inverse la tendance, la production est plus propre, plus précise, l'enregistrement se fait en studio avec des professionnels exemplaires. Foin de fantômes gazouillant dans les recoins de la bande ni de rythmiques éclopées. Les pistes ne sont plus totalement brouillées et les chansons gagnent en clarté hivernale.
Mais Weyes Blood semble toujours vouloir marier une folk primaire à des effets qui voilent la progression attendue d'une chanson ; et ces bruitages d’une étrange grisaille sont si stimulants, sertis dans la moiteur et la puissance des voix liturgiques qu’elle s’est ingéniée à écrire, qu’ils livrent d’elle son insouciance aristocratique et sa rigueur chevaleresque. Elle est fascinante d'abandons et de maîtrise, entre pose alanguie et stricte contenance de chef d'orchestre, comme "Candy Boy" le démontre dans The Outside Room: sa rythmique obsédante et faussement aléatoire, presque cauchemardesque, ces tintements d'une cloche moyenâgeuse couverte de poussière, qui résonne sur l'orgue d'une église chimérique, est la rencontre impensable entre Charlemagne Palestine et Joni Mitchell.
Pour ceux qui voudraient entrevoir la lumière, on annonce que Weyes Blood sera en mini-tournée en France, avec son backing-band cette fois, à partir du 3 juin, en première partie de Kevin Morby. Et pour faire languir les attrapés, on vous propose cette vidéo produite par Urban Outfitters.
3 Juin Grenoble, FR @ Le Ciel (w/ Kevin Morby)
4 Juin Limoges, FR @ Le Phare (w/ Kevin Morby)
5 Juin Saint Frion, FR @ Chapelle Fontfeyne
8 Juin Bordeaux, FR @ Rock School Barbey (w/ Kevin Morby)
9 Juin Toulouse, FR @ Connexion live (w/ Kevin Morby)
10 Juin Lyon, FR @ Marche Gare (w/ Kevin Morby)
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