À l’origine connu pour son travail au sein de son agence Check Morris (visuels de Dig !, Rubber, Wrong, Une Jeunesse Allemande, etc…), Nico Motte est aussi le fidèle créatif du label Antinote (D.K, Domenique Dumont, Inoue Shirabe…), fondé par Zaltan et Iueke. En parallèle de ce quotidien, l’homme qui manie le verlan plus vite que les typos s’est progressivement engagé dans la voie musicale, avec pour première oeuvre Rheologia, album paru il y a deux ans, puis Life Goes On If You Are Lucky, sorti en début d’année. À l’occasion de son passage au Peacock, Nico Motte nous en dit plus sur sa nostalgie des vieilles machines, sa passion pour les indicatifs sonores et son admiration pour Dee Nasty.
Est-ce vrai que l'histoire de Rheologia, ton premier album, commence par ton premier coup de coeur pour une collection de synthétiseurs ?
À la base, comme tu le sais, je suis graphiste et je bosse, entre autres, pour un pote qui est distributeur ; ensemble, on a fait une vingtaine d'affiches de film pour ce mec, notamment Dig, et un jour, je vais chez lui et le gars a une collection de synthé de ouf. Ouf ! J'ai toujours fait de la musique, je suis batteur à la base et là, j'avoue que lorsque j'ai vu ça, je me suis dit que c'était un truc de dingue. Par ailleurs, à l'époque, j'avais un pote qui faisait un disque pour Warp et le gars galèrait grave, j'ai donc pensé à acheter un synthé ou deux pour voir si je pouvais l'aider à poser des trucs.
Ce n'était pas Jackson, à tout hasard ?
Non, ce n'était pas Jackson, c'était un gars qui s'appelait Chok Rock qui avait fait un maxi en 2005 (Big City Loser, NDLR). Jackson, mon frère était à l'école avec lui, je le connais depuis un moment aussi mais ce n'est pas lui. Donc, en fait, j'ai fait ma musique petit à petit et j'ai fait écouté ça à Quentin, que tu dois connaître (aka Zaltan, fondateur du label Antinote), un an après qu'il ait lancé le label à peu près. Je faisais ça dans mon coin, sans avoir l'idée de sortir quelque chose un jour. Finalement, il m'a dit que c'était cool et qu'il était partant pour faire quelque chose. Ça s'est donc traduit par Rheologia, mais c'était vraiment un assemblage d'exercices de style... Ça me colle toujours un peu à la peau mais je suis moins fier de Rheologia que de mon dernier disque, Life Goes On if You Are Lucky. J'ai essayé de faire un disque un peu plus relax. Le premier est plus trié... Le deuxième est plus décomplexé.
Finalement, c'est déjà ta deuxième production en deux ans et comme tu es avant tout graphiste, j'imagine que la musique occupe une place à part, une occupation un peu plus dilettante. De fait, à partir de quel moment tu commences à prendre l'une de tes machines pour composer et te lancer concrètement et consciemment dans un disque ?
Franchement, ma manière de travailler n'est pas du tout traditionnelle, c'est-à-dire que dès que j'ai un peu de temps, j'allume toutes mes machines ; dès que j'entends des trucs, j'enregistre et si ça ne me plaît pas, j'arrête immédiatement. Je bosse l'image en même temps, je peux faire des trucs en musique tout en écoutant la radio ou un podcast, je n'ai pas une méthode de travail traditionnelle où je bosserais dessus tous les jours... Tu vois ce que je veux dire ? Je fais pas mal d'ébauches à droite, à gauche et quand j'ai des morceaux qui commencent à tenir la route, là je me mets sur l'édition plus sérieusement. En gros, je bosse de manière assez légère pour tout dire.
Les questions sur les similitudes entre le travail de graphiste et de musicien doivent pleuvoir. Est-ce qu'il y en a réellement pour toi ?
Oui, oui, il y en a, oui. Quand je travaille l'image, c'est très référencé. Entre le travail d'imagerie et de musique, il y a des choses un peu identiques. Dans le graphisme, je cherche beaucoup de références, je trace une direction et dans la musique, comme j'en écoute et que je collectionne beaucoup de disques, j'imagine que c'est la même chose, bien que ce soit plus inconscient. Tu vois, je vais écouter un disque d'illustrations sonores italien et là, il y a un phaser sur le charley, je vais partir du même de la même idée. Puis, par la suite, je pars complètement ailleurs.
Je vois une similitude dans ta manière de les appréhender : les références sont en effet évidentes dans ton travail mais elles sont bien digérées, tu parviens à éviter l'écueil de l'hommage encyclopédique.
Je crois que c'est Olivier Lamm qui avait chroniqué l'album à sa sortie (en effet, ici) en expliquant que ce n'était pas un "disque-musée". Après, j'ai mon pote Alexis Le Tan que tu connais sans doute (producteur, DJ), qui me dit que ce que je fais n'est pas extrêmement moderne non plus... Mais c'est aussi parce que je n'ai que des vieux synthés analogiques des années 70 et que je commence juste à intégrer la synthèse FM dans mon setup. Là, j'ai acquis un DX-7 (un synthétiseur de Yamaha, sorti au début des années 80 et aussi bien utilisé par Kraftwerk et Brian Eno que Phil Collins et Toto, NDLR), donc je pense que cela va rendre l'ensemble un peu plus eighties. Mais ma priorité est de me sentir un peu plus légitime dans la musique, ce qui est très difficile.
À partir de quand se sent-on légitime ?
Quand j'ai commencé dans le graphisme il y a presque 20 ans maintenant, j'avais du mal à me sentir légitime et c'est normal, t'apprends ton métier sur le tas. Ce sont des métiers très récents et c'est au bout de cinq affiches de film, quatre ou cinq pochettes de disque que tu commences un peu à digérer le truc. Je pense que c'est à peu près pareil dans la musique, ce n'est pas dans mon caractère d'avoir une confiance débordante et je sais pas, écoute, quand j'aurai sorti quatre ou cinq disques avec plein de potes pour les jouer... Le rêve, c'est de faire un disque joué en permanence.
Dans ce deuxième album, il y a un morceau intitulé "La Figure de Rey". Au moment où tu tombes sur cette collection de synthés, est-ce qu'il y a un côté mémoriel, l'effet Madeleine de Proust ?Oui, oui, en fait, je retrouve des sonorités de choses que j'écoutais quand j'étais gamin, donc quelque part oui. Après, je faisais de la batterie très jeune et je détestais tous les guitaristes, je n'étais pas trop axé vers ces genres... Mais oui, par exemple, dans le Prophet-5 (un clavier analogique populaire à la fin des années 70, NDLR), je retrouve des sons de disques de mon enfance, de tous les trucs qu'on nous balançait dans la gueule hyper eighties.
Tu dois donc être un enfant des années 80, une époque où finalement, ces sons occupent moins de place dans les bacs des disquaires qu'à la télévision, à la radio, dans les publicités et les jingles. C'est toute une génération qui a été nourrie par ces sonorités, lesquelles ont par la suite disparu...
Je suis né en 75 et ouais, en fait, c'est vrai que tu as raison pour l'effet Madeleine de Proust : les jingles de télé me fascinent, je collectionne énormément les disques d'illustration sonore, je dois en avoir 400. Quelque part, je cherche peut-être à reproduire ces sons, c'est clair...
Comment tu expliques, alors, que tu te retrouves dans une génération plus jeune que toi, à l'écoute de tes disques et vraiment fascinée par cette époque et ses sons ?
Écoute, regarde, un mec comme Antoine de Syracuse, il a trente ans donc dix de moins que moi. Quentin, c'est pareil. Isa, Raphaël Top-Secret, tous ces gens sont fascinés par ces disques. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu'à l'époque, c'était plus intéressant. C'est vrai que si tu écoutes la musique d'aujourd'hui, il y a un côté trop produit, trop digital, poussé à l'extrême. C'est peut-être aussi du romantisme, de la mélancolie, ce truc où l'on n'a pas envie de vieillir, je crois que c'est aussi simple que ça. J'ai connu l'âge de la techno au début des années 90, je suis tombé dedans aussi mais sans être un acharné du genre alors que Gwen (Jamois, autre fondateur d'Antinote et aussi connu sous le projet Iueke, NDLR), il est bien plus dans la techno que moi mais il le fait avec classe. J'en suis incapable, pour moi c'est un truc de bourrin.
Tu as parlé de romantisme. Ta passion pour les synthétiseurs n'implique t-elle pas un rapport semblable à celui d'un artisan, avec le bidouillage, le bricolage, également similaire à ce que tu peux faire en graphisme ?
Complètement, d'autant que je ne travaille pas du tout en MIDI, j'ai un émulateur mais je ne m'en sers pas comme sampler. Je joue tout. Dans le graphisme, c'est pareil. Je dessine les alphabets. Je me considère vraiment comme un artisan, oui. C'est que du façonnage de son, je n'utilise aucun plugin, à l'ancienne. Si je pouvais avoir un magnéto à bandes et virer mon ordi, je serais heureux, même si c'est complètement inutile.
Tu es depuis le début très proche d'Antinote puisque tu as très rapidement commencé à faire leurs pochettes. Comment s'est produit cette rencontre ?
En fait, j'ai rencontré Quentin dans les conventions de disques. Lui diggait des disques, comme moi ou Gwen. Il s'est rapproché de Gwen et on avait pas mal de potes en commun, dont Alexis Le Tan et tous ces gars qui sont dans les disques depuis une vingtaine d'années. On se connait en fait par l'achat compulsif de disques, de la recherche obsessionnelle de vieux disques. Je suis devenu assez pote avec Quentin et Gwen avait plein de vieilles K7 de techno du début des années 90 et je leur ai dit que s'ils se lançaient dans un projet, je voulais faire leurs pochettes. On est donc liés ensemble depuis le début, la seule pochette que je n'ai pas réalisée, c'est le premier disque de Syracuse. Je n'avais pas le temps de le faire, je ne savais pas si le label allait continuer, en fait et c'est l'ex d'Antoine qui l'a réalisée.
Tu pourrais même en composer ?
C'est même ce que j'ai essayé de faire avec Isa (sur "Tacotac") mais j'ai toujours tendance à en rajouter, c'est mon problème. J'aimerais bien déjà faire un morceau d'italo efficace... Mais bref, je respecte grave Dee Nasty. "Big Up !", comme dirait Quentin !
L'album Life Goes On If You Are Lucky de Nico Motte est toujours disponible chez Antinote. Nico Motte jouera au festival Peacock Society au Parc Floral de Paris le 15 juillet prochain.
Propos recueillis par Jérémy Le Bescont.
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