Dans sa review de Outro Tempo : Electronic And Contemporary Music From Brazil 1978-1992, Resident Advisor nous apprend que Gilles Peterson a échangé sa voiture contre la copie d'Amazon de João Donato du docteur ès jazz-house Floating Points. On connaît bien l'impact qu'ont eu la langueur douce-amère et la virtuosité tranquille de la nouvelle vague brésilienne sur le hip-hop, l'électronica et la pop music de la fin des années 90 puis des années 2000, du faux easy-listening de Tricatel ou Stereolab au Flights to Brazil de Madlib, en passant par le meilleur et le pire de la house intelligente londonienne.
Mais comme à leur habitude les diggers hollandais de Music From Memory déplacent le scope et font la démonstration que la musique brésilienne recèle d'autres secrets que les accords de septième diminuée joués par des virtuoses tristes en costard immaculé dans les ruelles de l'Ipanema d'avant le coup d'état de 1964. Loin de l'imaginaire lumineusement maussade, luxuriant et figé d'ordinaire accolé à la musique du plus grand pays d'Amérique du Sud, le label d'Amsterdam applique son obsession habituelle pour les années 80 et leur naïveté expérimentale avec cette compilation dont la chronologie s'étend de 1978 à 1992.
C'est le curateur anglo-espagnol John Gomez qui s'est chargé de chercher, sélectionner et assembler les 17 pistes de Outro Tempo qui donnent un aperçu du Brésil de ces années 80, qui sont celles qui précédent et qui suivent directement la chute de la dictature militaire. Si la bossa nova est marquée par la nostalgie d'un monde qui se sait en train de sombrer, la musique qu'a "colombisé" Gomez est pleine des possibilités de celui d'un monde qui émerge, conscient que "quand le vieux monde se meurt, le monde nouveau tarde à apparaître, et, dans ce clair obscur surgissent les monstres" - phrase utilisée à tort et à travers pour décrire les tentations populistes d'aujourd'hui mais qui peut recouvrir beaucoup d'autres réalités.
Les monstres qu'a excavés Gomez sont d'une beauté étrange, du tropicalisme synthétique de Nando Carneiro à "Corpo do Vento" et "Gestos de Equilibrio" de Priscilla Ermel qui font cohabiter l'avant-garde et les musiques traditionnelles des tribus amazoniennes parmi lesquelles la musicienne s'est immergée pour tenter de saisir et de retranscrire leurs rythmes et leurs phrasés musicaux.
Loin de tout manièrisme, les 17 morceaux de Outro Tempo cherchent à inventer d'autres voies, sans peur de se planter, de plagier, de faire cohabiter structures folks et arrangements synthétiques, l'inverse ou parfois les deux en même temps, et représentent le contrepoint parfait au représentations parfois caricaturales à l'extrême de la musique brésilienne, entre relecture ovniesque de l'héritage de Jobim et radicalité new-age.
"Corpo de Vento" de Priscilla Ermel s'écoute ci-dessous, de larges extraits de la compilation sont en écoute sur le Soundcloud de Music From Memory, Outro Tempo : Electronic And Contemporay Music From Brazil 1978-1992 est toujours disponible ici.
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